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 RebusExternis

LA GUERRE DU CIEL

15 Octobre 2019, 14:18pm

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

Les trajectoires d’évolution de certains groupes terroristes ont  permis de constater une capacité d'adaptation et de transfert des modes opératoires assez surprenants et pas renversants à la fois. L’appropriation par le groupe Boko haram des  codes visuels[1], plus généralement esthétiques du terrorisme international  fut ainsi une curiosité puisque que fondamentalement, ce groupe terroriste fut, à l’origine, caractérisé par son ancrage local. Pour autant, ce mimétisme dont  certains  traits saillants  ont été identifiés par la recherche au niveau de la   reprise des scénarios de propagande visuelle  et des mises en scène des actes terroristes employés par le terrorisme international, ne fut pas une grande surprise dans une ère où les moyens de communications dématérialisés favorisent des échanges de toutes sortes et décloisonnent l’inspiration au delà de la recherche du bien et des cercles restreints. La capacité de ce même groupe terroriste à insérer également, aujourd’hui, dans son arsenal des véhicules aériens sans pilote humain, communément appelés drones, s'inscrit sans commune mesure dans cette dynamique d’importation et d’appropriation des procédés de diffusion de la terreur. De drones commerciaux à des engins de plus en plus sophistiqués, le groupe Boko Haram semble ainsi imposer un nouveau visage du terrorisme en Afrique subsaharienne. Un visage qui suggère en filigrane la perte de l’hégémonie technologique du ciel par la puissance publique. Qu’en est-il réellement ?

 

Á l'origine, l'utilisation à des fins militaires des drones était l'apanage de la puissance publique. Puissance en perpétuelle quête de  préservation de sa position sur l’échiquier international, les Etats unis furent quelque part les pionniers de l’utilisation de cette technologie sur les théâtres d’opérations. Dès la première guerre mondiale, en passant par la seconde, et plus tard la guerre du golfe, les véhicules aériens sans pilote connaissent, dans cette partie du monde, des développements  soutenus. Cet intérêt pour les drones permettront le déploiement, en 1995, des drones de moyenne altitude longue endurance (MALE),  en l’occurrence les Predators. Bien évidemment, cette prouesse technologique aérienne catalyse l’attention et inaugure véritablement l’ère de la multiplication de la puissance aérienne  en dehors des cadres anciens. Utilisée au départ pour la simple reconnaissance et le ciblage pour  l'appui à d'autres formes d'engagement plus directes et donc comme une ressource importante de la guerre de l’information, les possibilités opératoires offensives développées et offertes par la modernisation de cette arme du ciel, ont fait de celle-ci une composante vitale et sans cesse croissante de la puissance aérienne des Etats Unis. Les terrains afghans, Irakiens et Pakistanais, à l’ère du président Obama, par exemple, ont offert l’occasion de relever les investissements conséquents des Etats unis dans cette conception particulière de faire la guerre sans homme à partir du ciel.

 Le recours considérable a cette innovation technologique sur les théâtres d’opérations  a suscité un grand nombre d'études et de débats divers s’articulant autour des implications éthiques sur son utilisation et son efficacité  par rapport aux objectifs stratégiques et politiques associés à la guerre contre le terrorisme. Au delà des polémiques et des joutes academico-politiques qu’elle a engendrées, sa  diffusion sur les terrains conflictuels à travers le monde confirme que c’est d’abord la puissance publique qui a toujours vu derrière son utilisation  un intérêt stratégique.

La transformation du continent africain en un champ de bataille de plus dans la guerre mondiale contre le terrorisme offre, en effet, l’opportunité de relever  que ce sont les Etats qui ont marqué un intérêt  particulier pour cette façon de marquer sa présence militaire à partir du ciel. Les caractéristiques diffuses de la menace terroriste sur le continent et l’incapacité de la puissance publique d’avoir toujours une pleine maîtrise de son territoire et de la menace terroriste, entre autres, ont poussé à envisager les drones comme des moyens de substitutions aux carences sécuritaires des Etats et aux situations conflictuelles où les frontières entre civils et hommes armés sont très peu tenues, parfois quasi inexistantes. Historiquement, c’est l’Etat d’Afrique du sud, sur le continent, qui est considéré comme le pionnier dans l’utilisation des aéronefs sans pilote à des fins militaires. Les références pertinentes font remonter aux années 1980, l’utilisation par cet Etat de « drones » sur des théâtres d’opérations. Néanmoins, c’est le Nigeria,  de nos jours, qui peut servir de baromètre, d’instrument de mesure de l’importance prise par les drones dans la stratégie de lutte contre le terrorisme de manière spécifique et plus généralement comme outil militaire.

D’une première expérience d’exportation des drones israéliens dans les années 2000, le Nigeria détient, aujourd’hui, dans son arsenal militaire, des drones  tactiques de surveillance de fabrication locale qu’il emploie intensément à des fins de renseignement  dans son interminable guerre contre le groupe terroriste Boko Haram. Á l’instar de l’Etat nigérian, les Etats africains qui ont recours à cette technologie qui, quelque part, uniformise les stratégies aériennes publiques de lutte contre le terrorisme, tentent de s’adapter, de résorber des lacunes et les insuffisances stratégiques dévoilées par une menace en constance mutations et évolutions qu’ils ont de  la peine à  contenir ou endiguer malgré l’avantage des forces et des moyens dont ils disposent. En cela, les drones publics, appelons les ainsi par opposition aux drones privés au service de la violence terroriste, s’inscrivent dans la logique continue de recherche d’adaptation des  moyens aux menaces.

L’ambition est naturellement compréhensible et justifiée. Mais il y a lieu de remarquer qu’il n’y a pas que la puissance publique qui s’adapte par le moyen des drones. Si à l’évidence, les drones sont des multiplicateurs de puissance des Etats face à la menace terroriste, les développements récents des modes opératoires des groupes terroristes montrent qu’ils ne sont plus pour autant  l’apanage exclusif de la puissance publique. L’appropriation par les groupes terroristes tels que Boko Haram de cette technologie marque certainement la fin de l’hégémonie «droniennne » du ciel de la puissance publique. La faiblesse des barrières à l’entrée de cette technologique doublée de la facilité de son mode d’emploi ont quelque part favorisé l’élargissement des possibilités stratégiques des groupes terroristes et d’une certaine manière la redéfinition des rapports de force. Sans pour autant mettre au même pied d’égalité les forces et les moyens, les drones au service de la violence privée permettent aux groupes terroristes de jouir de certains avantages conférés par cette technologie. Ils permettent, comme c’est le cas dans le contexte nigérian, au groupe Boko Haram de mener une guerre symétrique  d’information avec l’armée regulière, puisqu’il est reconnu, notamment par le discours médiatique et expert que les drones utilisés par ce groupe terroriste sont autant puissants sinon plus sophistiqués que ceux utilisés par l’armée régulière.  Par ailleurs, l’entrée par effraction de ce groupe terroriste dans le panel des organisations pouvant mener une « guerre du ciel » ou à partir du ciel  permet  à  ce dernier de compenser sa perte d’une assise territoriale identifiable. Le contrôle de fait de la terre par les airs rendu possible par les drones entretient ainsi, pour une part non négligeable, aussi bien la capacité de nuisance de ce groupe terroriste que sa capacité à annihiler la force et les modes opératoires de la puissance publique. 

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore,  les drones privés au service de la violence, bouscule considérablement la façon de semer la terreur et enjoint la puissance publique à intégrer dans ses stratégies de lutte contre le terrorisme ce nouveau paramètre. L’enjeu bien évidemment réside dans la reprise du contrôle du ciel par la puissance publique et l’anticipation d’une évolution préoccupante des modes opératoires des groupes terroristes sur le continent.


[1] Cohen Corentin, Ramel Frédéric, « Chapitre 4 - Prendre les images au sérieux. Comment les analyser ? », dans : Guillaume Devin éd., Méthodes de recherche en relations internationales. Paris, Presses de Sciences Po, « Relations internationales », 2016,

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