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 RebusExternis

Penurie d'eau au Cameroun: une crise de monopole?

14 Février 2014, 21:05pm

Publié par Sali Bouba Oumarou

Pénurie d’eau au Cameroun : une crise de monopole ?  

 

moiL’entrée du secteur privé dans le processus de gestion de l’eau des centres urbains et péri-urbains camerounais avait laissé espérer l’ouverture d’une nouvelle ère dans l’offre et la gestion de l’eau potable, notamment un service de meilleure qualité accessible à tous. Malheureusement, force est de constater que la situation n’est guère reluisante. Les coupures d’eau dans les centres urbains et péri-urbains sont récurrentes et la qualité de l’eau fournie aux ménages est douteuse. L’explication généralement avancée est le tarissement des sources d’approvisionnement en eau couplé à l’augmentation de la demande dont le corollaire est la saturation de la capacité de production en eau potable. Pareilles justifications peuvent-elles réellement expliquer à elles seules cette « crise de l’eau » ?

 

La situation actuelle que vivent les populations des centres urbains du Cameroun trouve ses origines dans l’échec de la gestion publique du secteur de l’eau. Jusqu’en 2008, le secteur de l’eau était exclusivement géré par la puissance publique à travers la société nationale des eaux du Cameroun (SNEC) dont l’une des caractéristiques était : l’imprécision de ses droits et obligations. Si formellement cette dernière bénéficiait d’une concession impliquant non seulement la prise en charge des frais d'exploitation, d'entretien mais également des frais d’investissements (infrastructures de production et de distribution d’eau), dans les faits, les deux dernières charges étaient supportées par la puissance publique. De fait, la SNEC ne disposait d’aucune capacité de renouvellement des infrastructures de production de l’eau potable. Même la capacité de cette dernière de financer les équipements d’exploitation était réduite dans la mesure où la puissance publique était « un mauvais payeur ». Ni les ressources stables de cette entreprise que devait assurer l’Etat, ni les impayés de la puissance publique ne sont versés régulièrement. Alors qu’en 1989 les impayés de l’Etat s’élèvent à près de 12100 millions[1] ; en 1993, les impayés de l’Etat et des communes s’élevaient à près de 36.000 millions de FCFA. La précarité financière de la SNEC découlant de cette situation, combinée à une gestion interne approximative, lourdement assujettie à la variable politique, ne pouvait que conduire à la défaillance de cette dernière.

 

Pour parer à ces insuffisances, la privatisation de ce secteur va être envisagée comme une solution. Si tout le monde s’accorde à dire que celle-ci est effective depuis 2008 avec la présence du fermier qu’est la Camerounaise des eaux (à qui la puissance publique a confié la distribution de l’eau potable dans les centres urbains et péri-urbains), remarquons tout de suite qu’on est juste passé d’un monopole public « brumeux » à un monopole privé qui ne saurait véritablement rapporter les bénéfices espérés des secteurs concurrentiels. Tout comme l’était la SNEC, La camerounaise des eaux occupe une position monopolistique. Dans cette configuration, certes avec des objectifs de rentabilité, elle n’a pas les mêmes incitations d’amélioration du service que ceux qu’on pourrait voir dans des secteurs concurrentiels. Plus encore, sa situation de fermier fait en sorte qu’elle n’assume que très peu de risques et n’a pas une véritable d’emprise sur la qualité du service. De fait, c’est la société publique de patrimoine CAMWATER en charge « d’acquérir, de construire, de réaliser ou de faire réaliser tous lesouvrages, installations et autres travaux, nécessaires à la production et à ladistribution d’eau potable sur l’étendue du territoire concédé »[2], qui est la véritable clé de voûte du secteur de l’eau au Cameroun. C’est elle qui doit mettre à disposition les infrastructures nécessaires pour la production, le transport la distribution de l’eau potable par le fermier qu’est la Camerounaise des eaux. En outre, la CDE à qui, il est demandé d’exploiter le service selon les règles de l’art et dans les conditions qui assurent à la fois la rentabilité optimale des matériels mis à sa disposition, ne dispose pas de liberté en matière de prix. Autant mieux dire que dans cette situation, établir les responsabilités des uns et des autres en cas de défaillance, même en ayant recours aux divers contrats liants l’Etat, la CAMWATER et la CDE, n’est pas toujours chose évidente. Par ailleurs, les préalables institutionnels pour réussir la privatisation n’étaient pas réunis. D’abord, le flou juridique et réglementaire, l’absence ou la faiblesse d’application des lois en raison de la corruption et de la bureaucratie, ont rendu difficile l’élimination des pratiques de monopole. Ensuite, L’absence de flexibilité des prix a créé une incertitude sur les droits d’usufruit sur les biens et services produits par les entreprises privées. Dès lors, il était illusoire d’espérer le développement d’un secteur privé car les entrants potentiels n’auraient pas été suffisamment incités. Enfin, En l’absence de règles, sanctionnant les pratiques anti-concurrentielles (ententes, barrières à l’entrée, etc.), les privatisations s’apparentaient à la transformation d’un monopole public en monopole privé. Dans ces conditions les populations sont quasi obligées de se plier aux dictats du triangle monopolistique : Etat, Camwater, CDE.

 

Or, si le secteur de l’eau était réellement ouvert à la concurrence, donc véritablement privatisé, il y a fort à parier qu’elle inciterait davantage à l’amélioration du service dans la mesure où les entrants potentiels intéressés par le secteur voudront nécessairement optimiser leurs parts de marché. Ce qui suppose préalablement investissement et obligation morale de satisfaire la clientèle. Si cette dernière n’est pas satisfaite, elle aura la lassitude de mettre en œuvre sa liberté de choix qui reste, disons le : un droit naturel. Ainsi, seul la démonopolisation du secteur de l’eau pourrait véritablement apporter des solutions à long terme à la crise de l’eau au Cameroun.

 

Oumarou Sali Bouba, analyste pour Libre Afrique - 14 février 2014

 

[1] Claude Essomba Ambassa, «Entre gouvernance privée et gouvernance publique: les enseignements pour une privatisation de la Société Nationale des Eaux du Cameroun (SNEC) » [en ligne] www.cidegef.refer.org/douala/Essomba.doc‎ consulté le 05 février 2014.

[2] Article 15.1 du contrat de concession

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Pourquoi l'Etat africain est-il fort mais défaillant?

13 Février 2014, 05:14am

Publié par Sali Bouba Oumarou

Pourquoi l’État africain est-il fort mais défaillant?,Gisèle Dutheuil analyste sur www.libreafrique.org.

 

Un trait commun aux idéologies et aux stratégies du développement a été d’assigner à l’État la responsabilité principale du développement. Pour légitimer leur pouvoir, les dirigeants mettent en avant les mythes du développement et de la construction nationale.


Etat fort ou défaillant ?


Pourtant, si l’on fait un bilan depuis les indépendances, on ne peut que constater le double échec à la fois du développement et de l’État. Mais certains intellectuels continuent d’affirmer que l’Afrique a besoin d’États forts pour se développer. Il demeure cependant un flou sur ce qu’est l’État et sur la manière de mesurer sa force. Un État fort, selon eux, serait celui qui a « les choses en main », qui dirige, planifie (au risque d’écraser les populations).


État interventionniste est synonyme de dépenses publiques importantes, ce qui crée des déficits et donc de l’endettement. L’État est alors faible car dépendant. L’ingérence de l’État dans tous les domaines favorise l’État rentier dont l’économie est peu diversifiée. Le manque de recettes hors rente conduit aussi à la faiblesse de la dépendance financière. Soulignons que ces États sont souvent captifs des partis politiques, des groupes ethniques et autres lobbies qui les rendent fragiles dans la perte d’autonomie.

 

L’indice des États défaillants (Fund for Peace), les index de la liberté économique (Fraser, Heritage), l'indice de développement humain (Pnud), nous montrent qu’un État fort est plutôt celui qui procure le bien-être aux populations et qui est fondé, avant tout, sur les droits et les libertés des populations au nom desquelles il existe et gouverne. Plus les populations sont libres et prospères plus l'État est fort et moins elles sont libres et prospères moins l'État est fort.

 

Si l’on observe le cas de la Côte d’Ivoire, présentée comme un exemple d’Etat fort dans la sous région Ouest africaine, on constate pourtant qu’elle figure parmi les états les plus défaillants au monde : 12ème/178 (notons que pour cet index, plus l’état est défaillant plus il est en tête du classement, la douzième place est donc très préoccupante). Ce classement du pays dans les Etats défaillants contraste avec sa présentation habituelle comme un Etat fort ; dans l’index Mo Brahima de la bonne gouvernance, on la retrouve à la 44ème /52 ; au niveau de la liberté économique, l’Heritage foundation la classe 126ème/185 et enfin, l’index de la démocratie de The Economist Intelligence Unit la classe 136ème /167 pays.

 

Ainsi, un État fort selon ces outils d’évaluation, c’est plutôt « l'État minimum » ou encore « l'État maitrisé » mais nullement l’État omniprésent socle de la prédation. Ce dernier est totalement incompatible avec le développement. Sur le sujet, Jean-François Médard, dans un article toujours très actuel intitulé « l’État patrimonialisé » (1), nous éclaire sur les dangers et les limites des états prédateurs ancrés sur le continent gardant les populations dans la pauvreté depuis des décennies.

 

La conception autoritaire et absolue de la force doit muer en une analyse qui part du bas et non plus du haut. C’est en effet un état au service des citoyens et des entreprises, seules créatrices de richesses dans un pays, qui pourrait permettre au continent de se développer. C’est dans cette subsidiarité qu’il pourra afficher sa force.

 

L’Afrique captive d’Etats forts-mous.

 

JF. Médard souligne clairement l’inefficacité d’un État tout puissant : « L’État en Afrique peut être décrit simultanément comme un État fort et un État mou. État fort, parce qu’État autoritaire reposant largement sur l’arbitraire et la violence exercée hors de tout cadre légal. Cet absolutisme va de pair avec une telle inefficacité que cet État fort est en réalité largement impuissant, malgré sa capacité de nuisance, car il est incapable de traduire les objectifs qu’il se donne en politique effective. »

 

Il souligne le caractère prédateur de l’État africain à l’égard de la société, parlant d’État parasite, kleptocrate : « Un État est considéré comme prédateur si, se nourrissant de la société, il ne rend pas à cette dernière des services suffisants pour justifier son existence. De plus, la ponction prélevée par les agents de l’État est perçue comme prédation parce qu’ils la prélèvent à leur profit personnel et non à celui de l’État. Chacun exploite sa position publique comme une prébende. Chacun se crée un système personnel de pouvoir qui parasite l’État »

 

Il est donc clair qu’un tel État est dans l’impossibilité d’assumer la responsabilité du développement puisque sa finalité est l’accumulation des ressources politiques et économiques de ses agents. Le politicien, dans ce contexte, s’évertue à accumuler des ressources dans une perspective de consolidation de son pouvoir et de sa survie politique. « C’est la raison pour laquelle, les chefs d’État paraissent les premiers fossoyeurs de l’État. »

 

Quel État pour une Afrique prospère ?

 

L’auteur propose de : « réaménager l’État, non seulement en le réduisant quantitativement, mais en le limitant, le contrôlant, le maîtrisant. Problème immense car ces propositions supposent toujours le problème résolu. Une chose paraît sûre : il n’y a pas de solution sans l’adoption de mécanisme institutionnel visant à responsabiliser les dirigeants vis-à-vis des dirigés, à les obliger à rendre des comptes » Idée également défendue par Wole Soyinka qui affirme que : « La plus grande menace pour la liberté est l'absence de critique »

 

En ce sens, un éveil citoyen est essentiel pour contrôler et critiquer l’action des dirigeants et pour focaliser le combat sur la demande de liberté économique qui, partout dans le monde, a aidé le progrès : une multitude d’entreprises libres devraient permette d’initier le déclin du système de prédation.

 

(1) Jean-François Médard : « L’État patrimonialisé », Politique africaine, n° 39, septembre 1990, p. 25-36.

 

Gisèle Dutheuil, directrice d'Audace Institut Afrique, analyste pour Libre Afrique.

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