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 RebusExternis

L’intégration en Afrique écartelée entre volonté et réticences.

28 Juin 2018, 11:04am

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

 

Malgré les tentations protectionnistes qui émergent, çà et là, à travers le monde, il est indéniable que l’espace mondial contemporain connait une croissance importante de la densité et de la diversité des interactions sociales qui favorisent des formes de communication et d’intégration assez diversifiées et complexes, en même temps. Aujourd’hui, par exemple, en prenant le pouls de l’actualité internationale à travers un site internet à l’aide d’un téléphone intelligent, un citoyen ordinaire accomplit, dans la banalité routinière quotidienne, parfois sans le savoir et s’en rendre compte, une multitude d’actes mondiaux assez importants et consistants ; dans l’acte d’achat d’un produit quasi mondial,  ou celui de la consultation d’une plateforme gérée et animée par de milliers de « mains invisibles », organisées en réseau comme des poupées russes, on entre inéluctablement dans « l’international rétrécit ». Le processus est encore plus grand lorsque notre citoyen interagit avec d’autres. Il y a encore quelques décennies, il n’était pas toujours possible d’accomplir cette « multitude d’actes » avec une telle facilité, et surtout célérité. L’histoire des communications téléphoniques internationales est là pour le rappeler. La réalité est donc là, elle s’impose à tous : l’espace mondial se rapproche de plus en plus du citoyen et le citoyen est appelé à composer avec l’espace mondial. L’intégration consciente ou inconsciente dont il est question n’est plus, à proprement parler, vue de ce point, une option, mais une réalité qui accompagne voire se superpose à la croissance  de la densité et de la diversité des interactions sociales contemporaines.

les scores d'intégration régionale. source: Africa Regional Integration Index Report 2016 - AUC, AfDB, UNECA (2016)

 

Contrairement à certains discours, l’Afrique, considérée, à tort ou à raison, comme un ilot balkanisé de pauvreté dans l’océan de prospérité réelle ou fictive qui l’entoure, n’est pas en marge de cette dynamique. Le processus d’intégration des sociétés n’est pas une simple chimère ou une simple vue d’esprit. Même s’il est possible de reconnaitre que les institutions et, parfois, les individus ordinaires, de plus en plus dépendants les uns des autres, s’agrippent toujours farouchement aux frontières, et contraint par conséquent la transnationalité et l’intersubjectivité naturelles des peuples, la densité et la diversité des interactions transnationales prennent diverses formes sur le continent. Elles sont politiques, à travers divers regroupements institutionnels ; elles sont économiques par le biais des échanges commerciaux et économiques multiformes ; elles sont enfin et surtout sociales à travers les communications matérielles et immatérielles transnationales qui s’établissent entre les peuples africains. Il n’est que d’évoquer les initiatives louables mises en oeuvre tant par l'Union Africaine que les institutions sous-regionales pour donner consistance à cette observation. Cependant, on observe très souvent un decalage assez important entre les discours et la réalité. Le sommet de l’Union Africaine de Kigali posant les bases d’une future zone de libre-échange africaine illustre bien cet écartement quasi perpétuel entre la volonté d'intégration et les reticences des uns et des autres.

En effet, l’intégration en Afrique a pris à Kigali une forme inédite, du moins au niveau discursif. Elle se donne les moyens d’avancer en repoussant graduellement les frontières et les barrières, particulièrement celles économiques ; elle tente, en termes quantitatifs de renverser le sens des courbes des échanges commerciaux interafricains ; enfin, elle recèle, en terme général, l’espoir d’une marche vers le rêve panafricain en s’écartant des anciennes logiques sectorisées d’intégration régionale, ne favorisant pas toujours l’intersubjectivité transnationale. Autant d’horizons qui subsument un accroissement encore plus important de la densité et de la diversité des interactions sur le continent. 

 

score d'intégration en Afrique. Source: Africa Regional Integration Index Report 2016 - AUC, AfDB, UNECA (2016)

Évidemment, passer du discours à la réalité n’est pas chose aisée ; surtout lorsqu’il existe toujours une tension permanente entre volonté et réticences institutionnelles, et volonté et réticences populaires localisées. S’il est indiscutable que l’intégration sans même le vouloir s’impose à tous dans la mesure aucun État ou aucun individu, aujourd’hui, ne pourrait vivre comme une île vierge de l’atlantique, il demeure constant que les reflux à l’intégration, comme l’illustre les revirements du Nigeria à Kigali, ne relèvent ni de la fiction ni d’une pure vue d’esprit. La pratique quasi régulière du repli sur soi, du retour vers l’espace national, pour quelque raison que ce soit, s’affirme ici comme la marque du décalage entre les discours lucides épousant les contours de la réalité telle qu’elle s’impose à tous ou telle qu’elle est parfois vécue intensément au niveau des zones transfrontalières, et les actes concrets destinés à créer de toutes pièces ou renforcer une réalité de substitution voulue ou souhaitée par un petit nombre. Cette démarche contradictoire contribue, bien entendu, à saper les vertus discursives attendues de l’intégration. Bien plus, elle semble, comme Donquichotte dans sa lutte contre les moulins à vent, vouloir remettre en cause, à proprement parler, un contexte mouvant qui ne saurait pourtant être remis en cause. Les réticences sont bien réelles, c’est une chose ; l’intégration est bien programmée, aidée ou non, à aller vers l’avant, c’en est une autre. 

Dr. Sali Bouba Oumarou, Tanger le 28 juin 2018.

 

 

 

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Investir dans le coton. Le sport power : une nouvelle niche diplomatique pour le Maroc ?

23 Juin 2018, 11:33am

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

 

 La malheureuse candidature du Maroc à l’organisation de la coupe du monde contre le trio américain (Canada, États-Unis, Mexique) a, en plus de dévoiler l’image d’une Afrique mature, capable de rivaliser avec les puissances établies, permis au candidat africain de récupérer au passage les dividendes immatériels de son engagement continu dans la diplomatie de créneau. Il a pu accroitre sa visibilité et promouvoir ses atouts à l’international. Il a également pu élargir, même symboliquement, la circonférence de ses relations internationales. Plus que tout, cette enième aventure a favorisé l'etoffement de l'assiette diplomatique du soft power du Royaume Cherifien. Est-il possible, au vu de l’investissement continu de cet État dans la diplomatie douce, d’avancer que le Sport Power représenterait l’avenir de sa diplomatie ?

Le constat de la crise de la puissance dans son sens traditionnel a permis de tirer une leçon importante en relations internationales : la maitrise des enjeux auxquels sont confrontés les Etats doit passer par d’autres formes de puissance ou canaux, susceptibles de correspondre aux caractères peu ou prou intégratifs ou encore transnationaux de la société internationale contemporaine. Le soft power est apparu, à ce moment-là, comme une alternative sérieuse. Urbi et orbi, il a été proclamé comme l’avenir des relations extérieures. La résistance, la porosité et la cherté du fer et de la poudre auraient ainsi perdu de la valeur au profit de la douceur du coton. Partant de ce constat général, il est effectivement possible de dire que le soft Power sportif marocain naissant pourrait représenter l’avenir de sa diplomatie. Du reste, ce nouvel horizon diplomatique élargit les possibilités et les moyens d’action du royaume chérifien à l’échelle internationale. Il permet au bassin collecteur des analystes et de l’attention des citoyens ordinaires de s’intéresser avec singularité au "pouvoir" de seduction et d'influence de cet État d’Afrique. Il pourrait incarner à proprement parler une synthèse du réalisé et du réalisable, du souhaité et du souhaitable, sur le plan diplomatique pour un Etat ne pouvant prétendre à un statut de puissance accomplie, du moins dans l’immédiat.

Logo officielle de la candidature marocaine à l'organisation de la coupe du monde 2026

Cependant, toute raison gardée, il n’est pas soutenable, dans un monde où la diplomatie ou très généralement les relations internationales sont très souvent réduites à la capacité à échanger avec les seules alliées, qu’un seul créneau, fut-il rassembleur de citoyens et politiques de moult bords, porte à lui seul toute la diplomatie d’un État. Qu’on le veuille ou non, les moyens et instruments classiques d’expression et de manifestation de la puissance occuperont toujours une place fondamentale, même en arrière-plan, dans le kaléidoscope de l’action diplomatique des États. Rien de nouveau à l’horizon :  cette réalité était déjà présente dans l’antiquité où les cités-États menaient des trêves au nom du sport ; cela semble rester le cas dans l’arène internationale actuelle où la puissance ne saurait se défaire de ses attributs matériels. La mise en avant d’une voix au chapitre des relations internationales par le canal de la puissance douce se réalise en gardant un point d’équilibre au niveau des autres ressources de puissance, permettant d’allier polissage d’une image à l’extérieur des frontières et préservation par des moyens tangibles de ses intérêts nationaux. Il faut donc comprendre que l’avenir dont on fait allusion en répondant positivement à l’interrogation de départ n’est pas en terme exclusif, mais bien inclusif dans ce sens où le créneau diplomatique sportif ne vient que renforcer dans une certaine harmonie les autres créneaux porteurs de la diplomatie marocaine.

source de l'illustration: http://www.points.tn/2015/02/obama-lart-dalterner-le-hard-power-et-le-soft-power/

 

Toutefois, il importe de relever que son trait particulier réside dans sa lourdeur de sens en termes de promotion d’image et sa capacité à créer, à travers un flux continu et intense d’informations élitistes ou populaires, une jonction, quasi interrompue, entre l’espace continental et l’espace mondial. Il suffit de jeter un coup de projecteur sur  les differentes manifestations sportives continentales ou internationales organisées ou acceuillies par le Maroc pour s'en convaincre. Que ce soit les coupes du monde des clubs de la FIFA en 2013 et 2014, le Championnat d’Afrique des Nations en 2018, le Championnat du monde de Judo de 2018, etc, les grands rendez-vous sportifs abrités par le Maroc, au cours de la decennie ecoulée, ont favorisé une visibilité croissante de cet État à l’échelle internationale, consolidé son image sur le plan continental, mais également projété son rayonnement au quatre coins du monde. Sans surfaire, le soft Power sportif marocain a pour ainsi dire substantiellement étendu l’image du pays ; pour la dernière candidature à l’organisation de la coupe du Monde, il a été possible de remarquer une couverture exceptionnelle de la candidature marocaine par les médias de moult bords sur les différents continents, en particulier en Afrique.

Au final, l’investissement dans la diplomatie douce, ou plus précisément en misant sur les spécificités et les différences de cette dernière semble, à tous les coups, apporter un plus dans la gibecière, même en cas de vent défavorable. Cependant,il ne faudrait pas tomber dans un angelisme aveuglant; Il faudrait souligner qu’atteindre des objectifs conscients ou inconscients à travers le soft Power n’est pas toujours aisé. Si le sport power est indéniablement un créneau porteur, cette forme de puissance est assez fragile, volatile et à double tranchant. La surexposition à laquelle conduit par exemple cette dernière peut, au-delà de policer une image, inspirer crainte à « l’extérieur » et attirer des critiques « sur l’intérieur ». Autrement dit, la surexposition qui accompagne tous types de soft power pourrait être perçu dans le pire des cas comme une forme de stratégie hégémonique moderne et pourrait également conduire à un intérêt accru sur les déficits des politiques internes des États usants à l’excès de cette corde diplomatique. Comme quoi, même l’investissement dans le coton à ses contraintes et ses risques.  

Dr. Sali Bouba Oumarou, le 23 juin 2018.

 

 

 

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