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 RebusExternis

Recension: "COMMENT DONALD TRUM A-T-IL CHANGE LE MONDE ? LE RECUL DES RELATIONS INTERNATIONALES.

9 Avril 2021, 09:31am

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

(c)franceculture

Dans leur essai intitulé Comment Donald Trump a-t-il changé le monde ? Le recul des relations internationales,  Charles-Philippe David, professeur titulaire de sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal, et  Élisabeth Vallet, professeure agrégée en études internationales au Collège militaire Royal de Saint-Jean et professeure associée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), se questionnent sur le recul actuel des relations internationales dans presque « tous les domaines ». Ils essayent plus précisément, dans cet essai de 98 pages, publié aux éditions du CNRS, de poser un regard critique sur l’accélération du recul des relations internationales, entériné par l’election de Donald Trump et le contexte pandémique actuel. Ainsi, défendent-ils la thèse selon laquelle « la politique étrangère de Donald Trump accélère une tendance (reflux des relations internationales) déjà amorcée et qui, dans le contexte actuel, pourrait s’avérer irréversible ».

Á cheval entre un procès de la politique étrangère de Donald Trump et ses conséquences sur la trajectoire des relations internationales post guerre froide, le livre écrit dans un style accessible au grand nombre, offre, globalement, une vision réaliste de la tendance au recul des relations internationales en marquant un arrêt sur quatre grands axes : diplomatique, sécuritaire, démocratique et normatif. Dans ces quatre secteurs, formant l’ossature de l’essai, les auteurs observent des reflux significatifs et les attribuent pour une large part aux  orientations et aux décisions de l’administration Trump en politique étrangère. Avant d’aborder au concret ces « reculs », ils prennent le soin d’apporter des éléments de compréhension, essentiellement réalistes,  sur la manière avec lesquels le monde change et le potentiel contenu de la notion de recul en relations internationales. Ainsi, reprennent-ils à leur compte la thèse de Giplin postulant que « la transition entre deux mondes s’effectue généralement dans la violence et la guerre, et à l’issue d’une ère d’instabilité où des reculs importants sont observables dans les rapports internationaux ». Ces périodes de transition chaotiques sont généralement marquées par le retour ou la prédominance de stratégies de repli sur soi (nationalisme, protectionnisme, etc) qui entretiennent tensions et crises diverses. Dès lors, seuls la chance et/ou un leadership engagé seraient en mesure d’empêcher les escalades.

Une fois le lien entre changement du monde et tendance au recul des relations internationales établi, les auteurs présentent ce qui à leurs yeux apparaît comme les reculs significatifs des relations internationales exacerbés ou entretenus par la politique étrangère de Donald Trump et le contexte pandémique actuel. Quels sont au concret ces reculs recensés dans l’essai :

1°Au niveau diplomatique, ils relèvent avec insistance que la  présidence de Donald Trump a « d’abord et avant tout transformé le rôle qu’ont joué les États-Unis depuis soixante-quinze ans dans la construction du système international ». À rebours des autres administrations américaines, il est soutenu que la politique étrangère « trumpienne » s’est abstenue de rechercher une hégémonie sur l’ordre international et a considérablement réduit son implication dans l’ordre mondial. Autrement, le supposé leader des relations internationales s’est illustré par une attitude de désengagement.

Ce repli sur soi, qui, disons-le, n’est pas synonyme  d’isolationnisme au sens strict, mais ressemble plus à la concentration des efforts sur les intérêts nationaux, porté au firmament rhétorique par le  slogan-action « l’Amérique d’abord, » a eu au moins deux conséquences majeures : la fragilisation des assises du système international, des alliances et institutions multilatérales et normes démocratiques autrefois défendus par Washington, d’une part ; d’autre part, elle a favorisé des guerres commerciales au nom du protectionnisme, la prolifération des sanctions contre les États proches ou lointains, le retrait de traités importants qui visent à instaurer la stabilité, et la remise en question d’alliances comme l’OTAN, qui sont vitales, selon les auteurs, pour l’ordre international.

2-Au niveau sécuritaire, les auteurs de l’essai relèvent que le retour marqué des États-Unis dans leur carapace sous l’impulsion de Donald Trump n’a pas entamé l’importance accordée par  Washington à sa puissance militaire. Tout au contraire, ce repli aurait renforcé le besoin de consolidation du sentiment de sécurité (autonome) des États-Unis. Ils notent ainsi que les quatre années de la présidence de Trump ont été fortement marquées par l’accroissement des budgets militaires, et le renforcement considérable de la sécurité du pays contre diverses menaces réelles ou imaginaires, à l’instar de la supposée menace représentée par les flux migratoires. Au concret les auteurs constatent que sous Donald Trump la recherche et le développement à vocation militaire ont été dirigés principalement dans deux directions. Une direction prospective cherchant à faire face aux guerres futures et une direction méliorative (diagnostic) cherchant à  résorber les vulnérabilités structurelles actuelles de leurs moyens de défense. Cette attitude belliqueuse douce qui, au sens des deux auteurs, s’inscrirait à contre-courant d’une période supposé avoir été marquée par le contrôle des armes, a accentué les rivalités et criminalisé davantage les autres acteurs proches ou lointains des relations internationales. Ici, la responsabilité de la recrudescence contemporaine de la course aux armes est largement attribuée aux Etats-Unis  qui se sont, par exemple, construit un porte-avion (Uss ford) dont le coût (13 milliards de dollars) représente l’équivalent du budget défense de la Pologne ou du Pakistan. C’est donc en toute logique qu’un climat de méfiance et de suspicion prend davantage le pas sur celui de la coopération, du multilatéralisme ; que la chine et la Russie emboîtent le pas aux Etats-Unis…dans la course aux armes.

3-Au niveau démocratique, les auteurs se rangent du côté des spécialistes arguant que notre époque est fortement caractérisée par une « récession » démocratique » dont les causes sont à recherchées dans « la recrudescence du populisme », l’attrait de l’autoritarisme, encouragé par la pandémie,  et à l’élection de Donald Trump. Sur ce dernier point, le désengagement des Etats-Unis en matière de promotion des valeurs démocratiques contribue fortement, au sens des auteurs, à alimenter les reculs démocratiques observables aussi bien aux États-Unis que dans le reste du monde. Cependant, reconnaissent les auteurs, le "trumpisme" n’a pas amorcé cette érosion démocratique, mais il n’est que venu l’accélérer substantiellement. Car «  les mots et les gestes de Donald Trump ne vont pas dans le sens de la promotion de la démocratie, pas plus à l’intérieur qu’à l’extérieur des États-Unis, contribuant ainsi à alimenter les reculs démocratiques. »

4-Au niveau normatif, ils notent que c’est le secteur qui enregistre le « plus grand recul des relations internationales », car les reculs ici affectent considérablement les normes et les droits de la personne ; autrement des fondements incontournables des relations internationales. « La décennie 2020 semble faire poindre à l’horizon le retour de facteurs préoccupants pour la stabilité et la sécurité du monde » avancent-ils, avant de relever que ces facteurs sont observables dans deux domaines : l’application des normes du droit international et le rôle que joue l’ONU dans la promotion de la paix. Le retrait des États-Unis de plusieurs traités, la suspension de la participation des États-Unis au financement de certaines organisations internationales (OMS en l’occurrence), le recours  à la force (assassinat du général iranien Qassem Soleimani), la mise en l’écart des considérations éthiques et morales, la renonciation aux principes et idéaux onusiens sont autant d’éléments présentés par les auteurs pour montrer comment  les normes et les droits de la personne ont subis les contre coups de la politique de Donald Trump, conduisant ainsi à une crise de confiance généralisée dans le multilatéralisme.

Au final, cet essai a le mérite d’être clair  et  de mettre en relief l’importance des liens qui pourraient exister entre les éléments structurels des relations internationales et certaines politiques étrangères particulières. La clarté du propos et les nombreux exemples choisis par les auteurs permettent de comprendre une part de la complexité qui entoure les relations internationales. Les deux auteurs, certainement influencés par leurs intérêts et divers travaux sur les États-Unis, dressent, derrière les rideaux, un bilan original pour les États-Unis et le monde, d’une politique étrangère atypique. Cet essai semble donc être un incontournable pour la compréhension des trajectoires actuelles des relations internationales. Cependant, l’essai semble attribué aux États-Unis, à travers la politique étrangère de Donald Trump, un rôle déterminant sur l’ensemble de l’architecture du système internationale. Tout se passe en effet comme si en l’absence d’une politique engagée et soutenue des États-Unis le monde serait caractérisé par une instabilité généralisé. Il s’agit là d’un point de vue discutable, qui ne prend pas en compte la capacité des autres acteurs à proposer des alternatives, à riposter, à revendiquer à travers différentes formes de diplomatie des statuts particuliers et même à défier le supposé hégémon en retrait qui se dessine dans l’essai. Par ailleurs, certains travaux, à l’instar de ceux de Bertrand Badie, ont déjà eu mis à mettre à  l’évidence que le gladiateur hobbesien,  n’est pas ou qu’il n’a jamais été réellement le seul maître à bord. La concurrence a toujours été présente, empêchant l’imposition par un quelconque acteur d’un ordre du jour des relations internationales. En outre, il ne faudrait pas perdre de vue que le processus de « démultilatérialisation » accélérée par la politique étrangère  de Trump était un phénomène localisé et non global, puisqu’on pouvait observer au même moment, en Afrique, un processus inverse et inédit. On pense bien évidemment ici à la zone de libre échange économique. Nul doute que ces aspects n’ont pas échappé aux auteurs dont les travaux contiennent toujours une originalité appréciable et enviable. 

Tanger, 09 avril 2021.

 

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L’indemnisation des victimes du terrorisme en Afrique : entre timide consécration formelle régionale et persistance des pratiques alternatives nationales

8 Avril 2021, 09:15am

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

Chers lecteurs, nous vous proposons ci-dessous l’introduction de notre article publié dans le vol 10 n°1 dec. 2020, de la revue africaine sur le terrorisme.Il peut être mis à votre disposition sur simple demande! Bonne lecture.

L’indemnisation des victimes du terrorisme en Afrique : entre timide consécration formelle régionale et persistance des pratiques alternatives nationales

 Résumé : Les victimes du terrorisme, et, plus singulièrement, les questions de leur devenir et de leur accompagnement ne font pas l’objet d’une attention récurrente dans les études et analyses sur le terrorisme. Or, plusieurs principes à l’instar du principe d’indemnisation de ces derniers sont désormais consacrés à l’échelle internationale. La présente réflexion entend résorber cet écart en procédant, à gros trait, à une analyse de la consécration du principe d’indemnisation des victimes du terrorisme au niveau régional (Afrique) et aux alternatives mises en œuvre dans les échelons nationaux. La conclusion fondamentale de cette analyse est la nécessité de l’inscription du principe d’indemnisation des victimes du terrorisme dans les législations nationales, conformément aux dispositions pertinentes des cadres conventionnels régionaux.

Mots clés : Etats ; indemnisation ; Victimes ; Terrorisme ; Union Africaine.

Introduction

 Dans les réflexions sur les formes de violence, le terrorisme se démarque et se conçoit, toujours comme une violence hétérogène atypique (Deffarges, 2003), particulièrement sérieuse, voire « totale » (Sommier,2002). On reconnait à cette dernière la capacité de pouvoir mettre en péril les collectivités organisées (Gozzi et Laborde, 2005). Le caractère singulier de cette violence qui se décline sous diverses formes parcourt largement le vocabulaire des nombreuses acceptions proposées par les auteurs et les cadres stricts (nationaux et régionaux) pour l’appréhender : ici et là, on souligne son caractère exceptionnel (Gozzi et Laborde, 2005) ; on dévoile quelques-uns de ses vecteurs animés par des intentions clairement criminelles, créatrices de préjudices et dommages multiformes. Le terrorisme est alors globalement perçu comme une violence politique rationnelle, coercitive, calculée, démonstrative et directe ayant des cibles et des buts précis (Schmid, 2011,86).

Bien évidemment, il s’agit là d’un tableau significatif et important de cette violence hétérogène qui, s’il ne met pas fin aux interminables joutes académiques sur une conception unique du terrorisme, a le mérite de mettre en lumière les invariants identifiables lors de la manifestation des facettes récurrentes de cette violence. Il met notamment en lumière le lien consubstantiel qui existe entre les vecteurs du terrorisme, l’acte terroriste, les objets et/ou les cibles de cette violence, puisque l’existence même et les trajectoires potentielles des acteurs et des actes terroristes sont conditionnées par leurs objets et leurs cibles. Sans pouvoir d’une violence exceptionnelle sérieuse, entrainant préjudices multiformes, et donc des victimes, il n’existerait pas, à priori, de terrorisme ! Par voie de conséquence, une focalisation de la réflexion sur les victimes du terrorisme ne saurait être quelque chose de surprenant.

Les victimes des actes terroristes qu’on considèrera, dans le cadre de la présente analyse, comme tout individu ayant subi des préjudices ou dommages du fait d’actes qualifiés de terroristes par les cadres stricts continentaux ou nationaux, font, de toute évidence, l’objet d’attention dans les études sur le terrorisme (Gozzi et Laborde, 2005). Lorsque vient le moment de mettre en lumière la gravité de tel ou tel acte terroriste ou de relayer les informations à l’opinion publique sur le terrorisme, les victimes de cette violence hétérogène apparaissent spontanément, au grand jour, sous forme de chiffres ou d’individus « déshumaniser » 1 , dépossédés donc de leurs dignités. Mais, contrairement aux auteurs, aux causes, aux motivations et réponses politiques aux actes qualifiés de terroristes qui occupent de manière autonome, et ce, sur le temps long, une part prééminente dans ces études (Lum, Kennedy et Sherley, 2006 : 8), les victimes du terrorisme et, plus particulièrement, les questions de leur devenir et de leur accompagnement, ne font pas l’objet d’une attention similaire et d’un traitement particulier. Ainsi, la question de l’accompagnement des victimes du terrorisme en Afrique constituerait l’angle mort des études et analyses sur le terrorisme. Pourtant, à l’heure où le continent, de l’est à l’ouest, du nord au sud, connait des vagues d’actes terroristes et leurs lots de victimes, il semblerait tout à fait cohérent et important de s’intéresser aux modalités de leur accompagnement. C’est tout l’intérêt de la présente analyse dont le focal repose sur le principe d’indemnisation désormais reconnue par les Nations Unies et d’autres organisations internationales, à l’instar de l’Union Européenne et l’union africaine, comme un des besoins des victimes des actes terroristes. Une telle entreprise théorique peut valablement reposer sur une approche analytique se nourrissant de matériaux issus d’un processus de triangulation permettant de constater que cette pratique d’accompagnement des victimes de terrorisme, dont les modalités seront déclinées tout au long de cette étude, a connu, sous l’influence des organisations internationales extracontinentales, une consécration délicate dans les cadres conventionnels régionaux. Ce qui place le niveau régional en avance par rapport aux échelons nationaux où on observe une absence de consécration formelle et directe de ce principe. La primauté et toute l’attention semblent toujours être accordées à des pratiques alternatives n’offrant pas de réels droits et garanties d’accompagnement aux victimes du terrorisme.[...] 

Dr. Sali Bouba Oumarou.

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