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LA DOUBLE PEINE DES PERSONNES EPILEPTIQUES : SOUFFRIR DE LA MALADIE ET DE LA MARGINALISATION SOCIALE

19 Décembre 2023, 14:25pm

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

Maladie neurologique, l’épilepsie est au cœur d'une étude menée à Tanger. Les résultats dévoilent l’ampleur de la stigmatisation sociale dont sont victimes les personnes atteintes de cette affection.

Il ne fait pas bon d’être épileptique dans la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima. En effet, une étude récente, menée par une équipe de chercheurs de l’université Ibn Tofail dans la ville de Tanger, montre que cette maladie est largement méconnue du grand public. Résultat : un sentiment de peur et une multitude de comportements antisociaux sont monnaie courante envers les personnes atteintes de cette maladie neurologique pourtant non transmissible.

Pour parvenir à leurs conclusions publiées dans la revue Antrhopo, une revue révisée par les pairs, les chercheurs se sont rendus au service de neurologie du centre hospitalier préfectoral Al Kortobi. Ils y ont mené une enquête en utilisant un questionnaire standardisée,  ciblant 180 personnes, recrutées parmi les patients épileptiques et les membres de leurs familles.

L’équipe de chercheurs visait ainsi à déterminer « les connaissances, les attitudes et les croyances du public vis-à-vis de l’épilepsie dans la région de Tanger », explique Abdelhalem Mesfioui, co-auteur de l’étude, et professeur à la faculté des sciences de l’université Ibn Tofail (Kenitra).

La connaissance d’une maladie est indispensable pour le personnel soignant, c’est une évidence. Mais cela doit être aussi le cas pour les populations qui doivent développer de bons gestes et reflexes, commente le Dr. Mariam C., neurologue, basé à Tanger, pour souligner la pertinence des objectifs de cette recherche. « Une maladie méconnue du public, même s’il ne s’agit pas d’une affection rare, engendre souvent des fausses croyances préjudiciables à la société », renchérit l’experte, dont les propos font écho à ceux du professeur Najib Kissani, président de la ligue marocaine contre l’epilepsie qui reconnait sur le site de son organisation « qu’à cause des préjugés sur cette maladie [epilepsie] », plusieurs personnes « font l’objet d’exclusion et de marginalisation ».

 UN MANQUE D’INFORMATIONS REMPLACÉ PAR DES INTERPRETATIONS ERRONÉES

Ces commentaires sur les liens entre mauvaises interprétations et méconnaissance de la maladie sont prouvés par l’étude. En effet, selon les chercheurs, l’épilepsie qui se traduit par des crises dont les symptômes varient selon la gravité de la surexcitation soudaine et incontrôlée de vastes groupes de cellules nerveuses, est encore sujette à des interprétations erronées, entretenues par le peu d’informations du grand public sur cette affection.

Bien que 90 personnes sur les 180 interrogées par l’équipe de chercheurs ont reconnu avoir déjà assisté à des convulsions, signes visibles de la maladie, pouvant aller de quelques secondes de perte de conscience à des crises plus violentes ; 66,1% des personnes interrogées ont affirmé n’avoir jamais « lu » ou « entendu parler » de cette maladie, dont serait pourtant victime 50 millions de personnes dans le monde, selon l’organisation mondiale de la santé.

La nature ayant horreur du vide, l’absence d’informations sur l’épilepsie au sein de la population tangéroise fait le lit de la prolifération d’une multitude de causes caricaturales de cette maladie, ainsi qu’une confusion entre les causes réelles de la maladie et les facteurs déclenchants les crises. 

Les résultats de l’étude montrent à cet effet que 40% des participants à l'enquête, soit 72 personnes, estiment que l'épilepsie est une forme de déficience mentale ; 15, 6% attribuent quant à eux cette maladie à des causes surnaturelles, notamment à des djinns ou à l’ensorcellement, tandis d’autres y voient les conséquences du stress (0,6%) et de la consommation de l’alcool et des drogues (15,6%).

« On peut retenir parmi les théories explicatives de l’épilepsie que la croyance en une cause surnaturelle (djinns, mauvais œil, ensorcellement, épreuve divine) est plus importante que le dysfonctionnement du cerveau (6,1%). Cela révèle, à notre avis, la confusion qui règne dans la population à propos des manifestations névrotiques, psychiques et les crises épileptiques organiques », précisent l’équipe de chercheurs dans leur étude.

Ces représentations erronées sur la maladie pourraient être encore s’élargir, si l’échantillon des enquêtés était plus conséquente, commente le Dr. B. Abdel de l’université Abdelmalek Essadi. « Nous n’avons là qu’une partie de l’icerberg », poursuit-il.

UNE MARGINALISATION TOUS AZIMUTS DES PERSONNES EPILEPTIQUES

Outre les diverses fausses croyances proliférant autour de l’épilepsie au sein de la population tangéroise, les résultats de l’étude montrent également que les personnes atteintes de cette affection sont plus susceptibles de faire l’objet de rejet et de margilisation sociale affectant fortement leurs vies affective et professionnelle.

L’équipe de chercheurs a ainsi relevé que 69,4% des enquêtés ne permettent pas à leurs enfants de jouer avec les personnes qui souffrent parfois de convulsions. Pis encore, 78,9 % des participants à l’étude, soit 142 personnes, ne sont pas disposées à autoriser leurs enfants à contracter un mariage avec des personnes épileptiques, et 50% des enquêtés considèrent les épileptiques comme des personnes incapables d’effectuer n’importe quel métier.

« Ces résultats, entre autres, soulignent plus que tout, l’urgence d’une information suffisante des patients sur la réalité de leur affection et d’améliorer la compréhension par l’entourage du patient et le public que l’épilepsie est une maladie neurologique universelle, non transmissible et curable », formule l’équipe de chercheurs. « Il est urgent de proclamer l'épilepsie comme une priorité de santé publique au Maroc, et d’élaborer un programme national », renchérit le Professeur Abdelhalem, membre de l’équipe de recherche.

Invité à commenter les conclusions de cette étude, le Dr. Jamal Temsamani, directeur scientifique, abonde dans le même sens. « Cette maladie neurologique fréquente reste mystérieuse dans notre pays, et il existe encore des préjugés autour de l’epilepsie […] Il y a donc un besoin de sensibiliser le grand public sur cette maladie pour laquelle il existe des traitements simples et accompagner les personnes atteintes ».

 L’ensemble des mesures préconisés par les experts et les recommandations de l’étude vont dans le même sens, ils visent à favoriser la lutte  contre « les préjugés néfastes et les discriminations dans tous les aspects de la vie », notamment en milieu scolaire et professionnel, mais surtout mieux faire connaitre cette maladie ; un objectif qu’essaye d’ores et déjà de concrétiser la ligue marocaine contre l’epilepsie à travers un site internet ( https://epilepsie-maroc.org/ ), dont la mission est de sensibiliser le grand public et d’accompagner les 400.000 personnes atteintes de cette maladie au Maroc.

Sali B.O

 

 

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