Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
 RebusExternis

Les deux congo: Le danger des freins à l'intégration

2 Juin 2014, 17:19pm

Publié par Sali Bouba Oumarou

En dépit de l’existence d’un cadre règlementaire prônant la libre circulation des personnes et des biens entre les deux Congo, force est de constater que les relations entre la République démocratique du Congo et le Congo Kinshasa restent caractérisées par la peur de l’autre. Les entraves à la circulation de la richesse de part et d’autre du fleuve Congo subsistent. Elles ont même tendance ces dernières années à s’accentuer comme le dévoile la récente décision d’exiger des passeports et des visas aux populations voulant traverser le fleuve Congo. Ces mesures justifiées par les escalades observées dans la lutte contre la criminalité galopante de part et d’autre du fleuve Congo, mettent davantage en péril le rapprochement entre les deux voisins naturels.

La récente décision d’exiger désormais des visas et des passeports pour une traversée de dix minutes du fleuve Congo survient à la suite de l’escalade du processus de lutte contre la montée de la criminalité initié par le Congo Brazzaville. Dite Mbata Ya Bakolo « la gifle des ainés », cette opération qui vise la réduction de la criminalité galopante a été, si ce n’est principalement, du moins prioritairement orientée vers les étrangers en situation irrégulière. De fait, pour Brazzaville la connexion entre montée de la criminalité et immigration irrégulière est évidente. Or, il se trouve que la majorité d’étrangers jugée en situation irrégulière au Congo-Brazzaville est issue de la RDC. D’après les autorités de Brazzaville, ce sont les ressortissants de la RDC qui seraient à l’origine de la montée de la criminalité à Brazzaville, avec notamment l’exportation des bandes criminelles dites « Kulunas ».

S’il est avéré que certains « Kulunas » ont eu à traverser le fleuve Congo pour trouver un refuge au Congo Brazzaville à la suite de l’opération « Likoli » initiée par Kinshasa pour aussi lutter contre la criminalité. On ne saurait pour autant établir une corrélation mécanique entre la montée de la criminalité à Brazzaville et l’immigration irrégulière. Ce serait ici considérer les ressortissants de Brazzaville comme des saints, ou alors les 130.000 citoyens de la RDC expulsés du Congo voisin depuis le 4 avril dernier, comme des criminels en puissance. Quand on sait que les prisons brazzavilloises sont peuplées de brazzavillois et que les peuples des deux Congo partagent pour la plupart les mêmes cultures et ont des relations sociales de diverses natures, ni l’une ni l’autre proposition ne saurait prospérer. Ainsi, dans l’absolu la thèse officielle avancée pour procéder à l’expulsion des ressortissants de la RDC du Congo Kinshasa, est discutable. Surtout lorsqu’on sait qu’une partie des Brazzavillois considèrent qu’ils sont envahis par les congolais de la RDC et que les expulsions auraient été faites de façon cavalière par Brazzaville en violation de la convention de Luanda exigeant aux Etats partis (RDC, RC, Angola) non seulement d’informer l’autre partie en cas d’éventuels expulsions, mais aussi de prendre les dispositions nécessaires pour le respect des droits humains pendant l’opération. Sans oublier les dérapages relatifs à ce genre d’opération (lynchages, violences, extorsions, pillages..), dénoncés même par la Monusco qui a mené un enquête sur les exactions perpétrées par les autorités du Congo Brazzaville.

En revanche, ce qui semble certain aujourd’hui, c’est que le durcissement des conditions des interactions transfrontalières entre les peuples des deux Congo ont de lourdes conséquences de natures diverses. Premièrement, cette décision est de nature à réduire davantage les relations économiques déjà en deçà de leurs potentiels réels entre les deux Congo[1]. Quand on sait que bien avant cette mesure les coûts de transport des personnes et des marchandises oscillaient entre 20 et 40 dollars, soit près de 80% du revenu mensuel moyen d’un résident de Kinshasa, on ne peut qu’envisager une explosion de ces coûts. Ceux-ci pourraient au passage, favoriser l’augmentation de la montée des transactions transfrontalières informelles qui a leur tour pourraient servir de terreau de prospérité à des bandes criminelles ou encore à la corruption. À ces conséquences prévisibles, il faudrait ajouter le fait que présentement c’est l’économie brazzavilloise qui se trouve impactée. Les kinois, assurant la plupart des services de base de la vie quotidienne (vendeurs à la sauvette, cordonniers, transporteurs) sont quasi absents car refoulés. Sur un tout autre plan, notamment social, la situation actuelle ne peut que favoriser la montée de la haine de part et d’autre du fleuve. On constate déjà dans ce sens que les populations de Kinshasa ont eu à s’en prendre ces derniers jours aux ressortissants congolais, y compris à des étudiants comme le rapporte Quantin Loubou[2]. Il y a manifestement une sorte de repli qui a une réalité tant au niveau politique par les décisions de durcir les conditions administratives de traversée du fleuve Congo que chez les individus qui s’approprient ce qui s’apparente à une crise de l’intégration.

Au vu de la situation, il y urgence pour les deux Congo d’empêcher la montée de ces différents périls à l’intégration. La question de la criminalité transfrontalière qui semble être, en apparence, le socle de cette situation pourrait être résolue par une coopération étroite entre les différents services de sécurités des deux Etats et par un respect des accords liant les uns aux autres. Mieux, il faudrait que les deux Congo divisés par l’histoire, comprennent que la libre circulation des richesses (biens et personnes) est importante pour la prospérité des deux peuples.

Sali Bouba Oumarou, analyste pour LibreAfrique – 2 juin 2014

[1] Pour Brulhart et Hoppe, aujourd’hui le commerce formel entre la RDC et la RC s’avère être moins développé qu’il ne l’était dans les années 1980. Marius Brulhart et Mombert Hoppe, 2012, “Intégration Régionale dans la RégionInférieure du Congo : ouverture du goulot d’étranglement Kinshasa-Brazzaville”, dans Johannes
Herderschee, Daniel Mukoko Samba et Moїse Tshimenga Tshibangu (editeurs), Resilience d’un Geant
Africain : Accelerer la Croissance et Promouvoir en République Démocratique du Congo, Volume III, Sujets
Transversaux, MEDIASPAUL, Kinshasa, pages 213-264.

[2] Quantin Loubou, « Retombées de l'opération "Mbata ya bakolo" : plus de 500 étudiants congolais en RDC regagnent Brazzaville » [en ligne] http://www.adiac-congo.com/content/retombees-de-loperation-mbata-ya-bakolo-plus-de-500-etudiants-congolais-en-rdc-regagnentconsulté le 28 mai 2014.

Voir les commentaires

RCA: Quels chemins pour la paix

2 Juin 2014, 17:15pm

Publié par Sali Bouba Oumarou

En dépit d’une présence des forces armées de la paix, la République centrafricaine est inlassablement à la recherche du chemin de la stabilité politique. Les exactions, tueries et règlements de compte orchestrés tant par les anti Balaka que par les ex Seleka sont toujours légions dans l’ensemble du pays y compris dans la capitale Bangui. Face à cette situation, des interrogations demeurent quant à la pertinence des voies empruntées pour sortir de la crise.

Restaurer la stabilité politique et l’harmonie sociale en Centrafrique requiert plusieurs exigences. Si cette nécessité passe inéluctablement par le moyen d’une force de rétablissement de la paix, elle ne saurait se réduire à cette seule dimension. Actuellement, la RCA connait sa 10ème opération dite de paix. Toutes les autres, déployées avant la MISCA depuis 1997 n’ont jamais réussi à véritablement stabiliser le pays. Ces opérations s’inscrivant très souvent dans le court terme, fortement encadrées par des mandats précis, visent généralement à réguler l’usage de la violence armée et à instaurer un environnement politique susceptible de permettre la reconstruction d’un certain ordre politique. Ainsi, étant occupées à traiter les symptômes du mal, ces opérations ne s’intéressent pas aux problèmes structurels étant le plus souvent les sources et/ou causes de ces conflits.

Pour s’en rendre compte, il suffit de constater que la résolution 2127, donnant mandat à la Misca, confine celle-ci à la protection des civils, au rétablissement de la sécurité et de l’ordre public, à la création des conditions idoines à la fourniture de l’aide humanitaire et à l’accompagnement des efforts visant à réformer et restructurer les secteurs de la défense et de la sécurité. Elle ne s’intéresse pas aux racines du mal, notamment à l’action des acteurs de l’ombre de cette instabilité politique ou encore aux polarisations de groupe, nées des instrumentalisations des différences ethniques favorisant pauvreté et misère. Or, il est évident qu’une solution durable à cette crise passe par une réponse adéquate à ces questions. Car, les antagonismes transnationaux menés pour l’accaparation des ressources naturelles centrafricaines, principalement le pétrole, l’or et le diamant, par les acteurs de l’ombre[1] (Etats, multinationales ; groupes armés non identifiés, bandits de grand chemin), contribuent, au même titre que l’instrumentalisation ethnique usée pour la mobilisation politique, à la perpétuation de la violence politique contre et dans l’ordre politique centrafricain[2]. On se souvient encore, à titre d’illustration, qu’aux premières heures du conflit, le patron de la société Grynberg Petroleum, à une réunion du centre international pour le règlement des différents au sujet du contentieux opposant la RCA à ce dernier, aurait déclaré sans ambages « …que l’affaire était en train de se régler sur le terrain, ajoutant que, Bangui allait bientôt tomber »[3].

En sus du fait qu’elle ne s’attaque pas aux racines du mal du conflit, l’opération de paix en Centrafrique ne s’intéresse pas non plus à la dimension au ras du sol du conflit. Les antagonismes qui étaient il y a encore peu, principalement visibles entre les leaders politiques qui utilisaient (et continuent d’utiliser) des appareils militaires pour entretenir l’insécurité dans le pays, connaissent depuis la chute du régime de Bozizé une réalité auprès des citoyens ordinaires. C’est pourquoi l’on a tendance à dire que le conflit est dorénavant religieux. Même s’il n’en est rien dans la mesure où la religion ne saurait être considérée comme au fondement de la crise du fait principalement que les Centrafricains, malgré leur diversité vivaient en bonne intelligence avant le conflit. Toutefois, cette qualification traduit dans une certaine mesure la dissémination du conflit à l’échelle des relations interindividuelles et la cristallisation de celui-ci sur le marqueur identitaire religieux. Dès lors, outre la stabilisation politique par la régulation de la violence armée, il y a une nécessite de travailler sur le rapport cognitif (vivre ensemble) des citoyens centrafricains, seul capable de favoriser le retour à des représentations positives de l’autre. Ce travail, loin de pouvoir être le fait d’un hypothétique guide ou prophète, doit être mené par les leaders de la société au ras du sol centrafricain à l’échelle des quartiers et des communes. Plusieurs religieux des différentes confessions présentes en Centrafrique ont misé sur cette dimension de la paix par leurs actions qui n’ont pas reçus jusqu’ici, l’attention qu’elles devraient avoir. L'archevêque de Bangui, l'imam et le chef de la communauté protestante de Centrafrique œuvrent ainsi ensemble depuis 2012, via des causeries, des prières, et séminaires, à la reconstruction des relations interpersonnelles entre centrafricains. Si leur mobilisation a aussi une dimension transnationale de part leur lobbying pour la paix au niveau international, ces actions menées auprès des citoyens participent à la construction d’une paix sur le long terme. De fait, elles cherchent à reconstruire les liens sociaux brouillés par le conflit. Dès lors, elles présentent un certain mérite. Cependant, ces actions restent encore limitées. Pour l’instant, elles se concentrent aux seules zones jugées sures de la RCA. Normal pourrait-on dire, dans la mesure où ces leaders religieux pensent aussi à leur sécurité. Mais, il faut aussi noter que les milliers de refugiés centrafricains, principalement musulmans, ne bénéficient pas de ces actions de pacification. Pourtant, il n’est pas exclu que dans cette « Centrafrique du dehors » naisse le phénomène de « refugee warrior » du fait d’une volonté de vengeance et rancœur, ou encore de l’instrumentalisation comme le laisse voir les déclarations de guerre de Boko Haram aux anti Balaka. Il y a donc, la nécessité, pour une véritable pacification de la centrafricaine d’étendre les actions au ras du sol au niveau des refugiées centrafricains. Mieux, il faudra songer, une fois la régulation de la violence armée effective, à utiliser les ressources locales intra et inter groupes sociaux de transformation des conflits pour espérer véritablement réconcilier les Centrafricains entre eux. En plus de la mobilisation de la société civile afin de reconstruire le lien social distordu par les violences, il faudrait monter une instance nationale de réconciliation comme ça été le cas en Afrique du Sud et au Rwanda, en s’appuyant sur des pratiques sociales locales. De même, il faut aussi régler la problématique de la distribution des ressources naturelles, de l’alternance politique pacifique. Loin d’être seulement, une réconciliation sociale basée sur la peur du retour vers un passé douloureux, celle-ci doit pouvoir jeter les jalons d’un ordre politique où l’alternance politique est acceptée par tous, la redistribution des ressources, la reddition des comptes effectives, et l’ampleur des influences externes moindre.

Sali Bouba Oumarou, analyste pour Libre Afrique - Le 30 avril 2014

[1]Dans son adresse lors de la rencontre sur la situation en république centrafricaine à Bruxelles le 02 avril 2014,la Présidente de la commission de l’union africaine a mis en exergue la course pour l’exploitation illégale des ressources naturelles centrafricaines comme une des racines du conflit http://www.peaceau.org/en/article/remarks-by-dr-nkosazana-dlamini-zuma-chairperson-of-the-african-union-commission-during-the-special-meeting-on-the-central-african-republic-in-brussels-02-april-2014 consulté le 09 avril 2014.

[2]http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-1011_fr.html consulté le 08 avril 2014.

[3]Cf interview de Francois Bozizé http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2724p024-033.xml11/ consulté le 08 mai 2013.

Voir les commentaires