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 RebusExternis

reflexions personnelles

TERRORISME EN AFRIQUE : LES CIVILS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST PAYENT LE LOURD TRIBU!

17 Juin 2021, 10:52am

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

Source:https://unowas.unmissions.org/

Dans la nuit du vendredi 4 au samedi 5 juin 2021, le terrorisme a encore frappé durement la ville de Solhan, au Burkina Faso. Le bilan provisoire dressé par les autorités est effroyable : au moins 160 personnes, dont des enfants, ont  trouvé la mort dans des conditions atroces.  L’attaque, qualifiée par la presse comme la  plus meurtrière enregistrée dans ce pays depuis le début des violences en 2015, est venue rappeler que le Burkina Faso, et plus généralement, l’Afrique constitue désormais un terreau fertile pour les terroristes et leurs activités criminelles. L’analyse des statistiques du centre de recherche de l’Union Africaine sur le terrorisme, entre les mois de janvier et d’août 2020, dévoile cette tendance haussière des violences terroristes sur le continent. Ainsi, le nombre d’incidents terroristes enregistrés mensuellement, durant cette période, s’établit à au moins 100, avec un pic important entre les mois de mai et août 2020. Avec 288 incidents terroristes enregistrés, le mois de juillet 2020 a particulièrement été marqué par le sceau du terrorisme

source: Sali BouBa O. compilation données UA/Caert

 

L’Afrique de L’Ouest et L’Afrique Centrale, deux aires de concentrations d’activités terroristes.

L’évolution des incidents terroristes en Afrique montre que la partie Ouest du continent et l’Afrique Centrale sont les deux régions où les divers groupes terroristes, notamment Boko Haram, Al Shabab et Iswap, rivalisent dans l’ingénierie de la criminalité et la terreur. Alors que l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Nord sont relativement épargnées, des  Etats  tel que  le  Nigeria, le Burkina Faso, le Niger et le Mali, tous situés en Afrique de l'Ouest, ont de leur coté enregistré plus d’un incident terroriste, dont les principales cibles sont d’abord les civils, puis les militaires et les forces de sécurité.

source. Sali Bouba O. Compilation données UA/Caert

 

source. Sali Bouba O.compilation des données UA/Caert

 

Cette focalisation des terroristes sur l’Afrique de l’Ouest  et les cibles civiles confirme quelque part les propos du représentant spécial des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Mohamed Ibn Chambas, qui souligna, à l’occasion d’une séance publique du conseil de sécurité, que le nombre des victimes des violences terroristes au Burkina Faso, au Mali et au Niger a été multiplié par 5 depuis 2016, avec près de 4000 morts, dont de nombreux civils,  au cours de la seule année 2019.  

Bien que les moyens utilisés par les groupes terroristes pour créer le chaos et la désolation soient diversifiés, les données du centre de recherche sur le terrorisme de l’Union Africaine montrent que les armes légères et de petits calibres, ainsi que les engins explosifs improvisés sont de loin les outils privilégiés par les entrepreneurs de la terreur. Durant toute la période couverte par les données de l’Union Africaine, les armes légères constituent le principal moyen employé par les terroristes pour  s'affirmer et s'introduire par effraction dans l'agenda sécuritaire des pouvoirs publics.

Ce constat pourrait aisément s’expliquer par le fait que jusqu'à présent, l’Afrique reste une des parties du monde gravement touché par le fléau des armes légères. Le small arm survey, un centre de recherche basé à Genève, relevait dans une étude que plus de 80% des armes légères en Afrique était détenu par des civils. Ainsi, une des pistes pour réduire la capacité de nuisance des terroristes serait donc de mettre davantage l’accent sur la problématique de la circulation illicite  et la réglementation de l’usage des armes légères et de petits calibres.

Tanger le 17 Juin 2021.

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Recension: "COMMENT DONALD TRUM A-T-IL CHANGE LE MONDE ? LE RECUL DES RELATIONS INTERNATIONALES.

9 Avril 2021, 09:31am

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

(c)franceculture

Dans leur essai intitulé Comment Donald Trump a-t-il changé le monde ? Le recul des relations internationales,  Charles-Philippe David, professeur titulaire de sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal, et  Élisabeth Vallet, professeure agrégée en études internationales au Collège militaire Royal de Saint-Jean et professeure associée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), se questionnent sur le recul actuel des relations internationales dans presque « tous les domaines ». Ils essayent plus précisément, dans cet essai de 98 pages, publié aux éditions du CNRS, de poser un regard critique sur l’accélération du recul des relations internationales, entériné par l’election de Donald Trump et le contexte pandémique actuel. Ainsi, défendent-ils la thèse selon laquelle « la politique étrangère de Donald Trump accélère une tendance (reflux des relations internationales) déjà amorcée et qui, dans le contexte actuel, pourrait s’avérer irréversible ».

Á cheval entre un procès de la politique étrangère de Donald Trump et ses conséquences sur la trajectoire des relations internationales post guerre froide, le livre écrit dans un style accessible au grand nombre, offre, globalement, une vision réaliste de la tendance au recul des relations internationales en marquant un arrêt sur quatre grands axes : diplomatique, sécuritaire, démocratique et normatif. Dans ces quatre secteurs, formant l’ossature de l’essai, les auteurs observent des reflux significatifs et les attribuent pour une large part aux  orientations et aux décisions de l’administration Trump en politique étrangère. Avant d’aborder au concret ces « reculs », ils prennent le soin d’apporter des éléments de compréhension, essentiellement réalistes,  sur la manière avec lesquels le monde change et le potentiel contenu de la notion de recul en relations internationales. Ainsi, reprennent-ils à leur compte la thèse de Giplin postulant que « la transition entre deux mondes s’effectue généralement dans la violence et la guerre, et à l’issue d’une ère d’instabilité où des reculs importants sont observables dans les rapports internationaux ». Ces périodes de transition chaotiques sont généralement marquées par le retour ou la prédominance de stratégies de repli sur soi (nationalisme, protectionnisme, etc) qui entretiennent tensions et crises diverses. Dès lors, seuls la chance et/ou un leadership engagé seraient en mesure d’empêcher les escalades.

Une fois le lien entre changement du monde et tendance au recul des relations internationales établi, les auteurs présentent ce qui à leurs yeux apparaît comme les reculs significatifs des relations internationales exacerbés ou entretenus par la politique étrangère de Donald Trump et le contexte pandémique actuel. Quels sont au concret ces reculs recensés dans l’essai :

1°Au niveau diplomatique, ils relèvent avec insistance que la  présidence de Donald Trump a « d’abord et avant tout transformé le rôle qu’ont joué les États-Unis depuis soixante-quinze ans dans la construction du système international ». À rebours des autres administrations américaines, il est soutenu que la politique étrangère « trumpienne » s’est abstenue de rechercher une hégémonie sur l’ordre international et a considérablement réduit son implication dans l’ordre mondial. Autrement, le supposé leader des relations internationales s’est illustré par une attitude de désengagement.

Ce repli sur soi, qui, disons-le, n’est pas synonyme  d’isolationnisme au sens strict, mais ressemble plus à la concentration des efforts sur les intérêts nationaux, porté au firmament rhétorique par le  slogan-action « l’Amérique d’abord, » a eu au moins deux conséquences majeures : la fragilisation des assises du système international, des alliances et institutions multilatérales et normes démocratiques autrefois défendus par Washington, d’une part ; d’autre part, elle a favorisé des guerres commerciales au nom du protectionnisme, la prolifération des sanctions contre les États proches ou lointains, le retrait de traités importants qui visent à instaurer la stabilité, et la remise en question d’alliances comme l’OTAN, qui sont vitales, selon les auteurs, pour l’ordre international.

2-Au niveau sécuritaire, les auteurs de l’essai relèvent que le retour marqué des États-Unis dans leur carapace sous l’impulsion de Donald Trump n’a pas entamé l’importance accordée par  Washington à sa puissance militaire. Tout au contraire, ce repli aurait renforcé le besoin de consolidation du sentiment de sécurité (autonome) des États-Unis. Ils notent ainsi que les quatre années de la présidence de Trump ont été fortement marquées par l’accroissement des budgets militaires, et le renforcement considérable de la sécurité du pays contre diverses menaces réelles ou imaginaires, à l’instar de la supposée menace représentée par les flux migratoires. Au concret les auteurs constatent que sous Donald Trump la recherche et le développement à vocation militaire ont été dirigés principalement dans deux directions. Une direction prospective cherchant à faire face aux guerres futures et une direction méliorative (diagnostic) cherchant à  résorber les vulnérabilités structurelles actuelles de leurs moyens de défense. Cette attitude belliqueuse douce qui, au sens des deux auteurs, s’inscrirait à contre-courant d’une période supposé avoir été marquée par le contrôle des armes, a accentué les rivalités et criminalisé davantage les autres acteurs proches ou lointains des relations internationales. Ici, la responsabilité de la recrudescence contemporaine de la course aux armes est largement attribuée aux Etats-Unis  qui se sont, par exemple, construit un porte-avion (Uss ford) dont le coût (13 milliards de dollars) représente l’équivalent du budget défense de la Pologne ou du Pakistan. C’est donc en toute logique qu’un climat de méfiance et de suspicion prend davantage le pas sur celui de la coopération, du multilatéralisme ; que la chine et la Russie emboîtent le pas aux Etats-Unis…dans la course aux armes.

3-Au niveau démocratique, les auteurs se rangent du côté des spécialistes arguant que notre époque est fortement caractérisée par une « récession » démocratique » dont les causes sont à recherchées dans « la recrudescence du populisme », l’attrait de l’autoritarisme, encouragé par la pandémie,  et à l’élection de Donald Trump. Sur ce dernier point, le désengagement des Etats-Unis en matière de promotion des valeurs démocratiques contribue fortement, au sens des auteurs, à alimenter les reculs démocratiques observables aussi bien aux États-Unis que dans le reste du monde. Cependant, reconnaissent les auteurs, le "trumpisme" n’a pas amorcé cette érosion démocratique, mais il n’est que venu l’accélérer substantiellement. Car «  les mots et les gestes de Donald Trump ne vont pas dans le sens de la promotion de la démocratie, pas plus à l’intérieur qu’à l’extérieur des États-Unis, contribuant ainsi à alimenter les reculs démocratiques. »

4-Au niveau normatif, ils notent que c’est le secteur qui enregistre le « plus grand recul des relations internationales », car les reculs ici affectent considérablement les normes et les droits de la personne ; autrement des fondements incontournables des relations internationales. « La décennie 2020 semble faire poindre à l’horizon le retour de facteurs préoccupants pour la stabilité et la sécurité du monde » avancent-ils, avant de relever que ces facteurs sont observables dans deux domaines : l’application des normes du droit international et le rôle que joue l’ONU dans la promotion de la paix. Le retrait des États-Unis de plusieurs traités, la suspension de la participation des États-Unis au financement de certaines organisations internationales (OMS en l’occurrence), le recours  à la force (assassinat du général iranien Qassem Soleimani), la mise en l’écart des considérations éthiques et morales, la renonciation aux principes et idéaux onusiens sont autant d’éléments présentés par les auteurs pour montrer comment  les normes et les droits de la personne ont subis les contre coups de la politique de Donald Trump, conduisant ainsi à une crise de confiance généralisée dans le multilatéralisme.

Au final, cet essai a le mérite d’être clair  et  de mettre en relief l’importance des liens qui pourraient exister entre les éléments structurels des relations internationales et certaines politiques étrangères particulières. La clarté du propos et les nombreux exemples choisis par les auteurs permettent de comprendre une part de la complexité qui entoure les relations internationales. Les deux auteurs, certainement influencés par leurs intérêts et divers travaux sur les États-Unis, dressent, derrière les rideaux, un bilan original pour les États-Unis et le monde, d’une politique étrangère atypique. Cet essai semble donc être un incontournable pour la compréhension des trajectoires actuelles des relations internationales. Cependant, l’essai semble attribué aux États-Unis, à travers la politique étrangère de Donald Trump, un rôle déterminant sur l’ensemble de l’architecture du système internationale. Tout se passe en effet comme si en l’absence d’une politique engagée et soutenue des États-Unis le monde serait caractérisé par une instabilité généralisé. Il s’agit là d’un point de vue discutable, qui ne prend pas en compte la capacité des autres acteurs à proposer des alternatives, à riposter, à revendiquer à travers différentes formes de diplomatie des statuts particuliers et même à défier le supposé hégémon en retrait qui se dessine dans l’essai. Par ailleurs, certains travaux, à l’instar de ceux de Bertrand Badie, ont déjà eu mis à mettre à  l’évidence que le gladiateur hobbesien,  n’est pas ou qu’il n’a jamais été réellement le seul maître à bord. La concurrence a toujours été présente, empêchant l’imposition par un quelconque acteur d’un ordre du jour des relations internationales. En outre, il ne faudrait pas perdre de vue que le processus de « démultilatérialisation » accélérée par la politique étrangère  de Trump était un phénomène localisé et non global, puisqu’on pouvait observer au même moment, en Afrique, un processus inverse et inédit. On pense bien évidemment ici à la zone de libre échange économique. Nul doute que ces aspects n’ont pas échappé aux auteurs dont les travaux contiennent toujours une originalité appréciable et enviable. 

Tanger, 09 avril 2021.

 

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L’éminence grise : une histoire de robe, d’ombre, d’aptitudes exceptionnelles et de pouvoir

29 Mars 2021, 10:54am

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

L’éminence grise : une histoire de robe, d’ombre, d’aptitudes exceptionnelles et de pouvoir

(c)BelgaImage

Les hommes politiques, les hauts personnages, les princes, bref tous les acteurs ayant une charge politique d’une certaine ampleur sont obligés d’être visibles, d’être connus et reconnus. Ils sont de ce fait soumis, en théorie, à la tyrannie de la transparence et des cadres stricts régulant et délimitant leurs pouvoirs. Tel n’est pas toujours le cas de leurs entourages à l’égard desquels foisonnent (souvent) des mises en accusation rituelle du fait de l’impossibilité de les situer par rapport au cadre public où évoluent les hommes politiques. À l’échafaud de ce rituel amplifié, très souvent, par les médias dans le but soit de mettre à mort ou de dénoncer les rapports complexes entre transparence et secret, pouvoir public et pouvoir occulte, pouvoir personnel et impersonnel, on retrouve l’éminence grise, cet acteur de pouvoir à qui on attribue, au moins, une proximité remarquable avec un  acteur assumant une fonction publique importante, et, au plus, une influence multidirectionnelle non négligeable dans le processus de fabrication des décisions politiques. Que représente réellement une éminence grise ? Quelle est son origine ? Voilà quelques interrogations qu’on peut bien explorer pour situer ses quelques représentations symboliques

Historiquement, l’expression éminence grise nous vient du Père joseph, qui fut un ami, confident et, certainement, le plus fidèle des collaborateurs du cardinal de Richelieu à l’époque où ce dernier fut ministre de Louis XIII. Quoi qu’on en puisse dire, au fondement de cette expression réside l’amitié entre deux hommes, entre deux subjectivités, facilité par un partage de certains référents sociaux communs, en l’occurrence religieux. Les deux hommes se rencontrent en effet grâce à leurs vocations religieuses, en 1609. À ce moment précis de l’histoire, Le père Joseph dont la réputation n’est plus véritablement à établir est supérieur du couvent des capucins à tours et Plessis de Richelieu est évêque à Luçon. Durant une quinzaine d’années, les deux hommes vont échanger une complicité dont le centre nerveux, la référence symbolique était leur dévotion pour les affaires religieuses. Rien d’étonnant donc qu’en 1624, lorsque le Cardinal de Richelieu entre au conseil du Roi louis XIII, il fit appel au père Joseph en ces termes : « Comme vous êtes le principal agent, dont Dieu s’est servi pour me conduire dans tous les honneurs où je me vois élevé, je me sens obligé de vous en mander les premières nouvelles, de vous apprendre qu’il a plu au Roi me donner la charge de son premier ministre à la prière de la Reine. Mais en même temps je vous prie d’avancer votre voyage, de venir au plûtôt partager avec moi le maniement des affaires. Il y en a de pressantes que je ne veux confier à personne, ni résoudre sans votre avis. Venez donc promptement recevoir les témoignages de toute l’estime qu’a pour vous »[1].

Cet appel du cardinal Richelieu permit au Père Joseph, vêtu de la robe grise de la congrégation des capucins, de mettre ses compétences exceptionnelles au service d’un homme dont la fonction et le titre exigeaient une robe rouge. L’expression éminence grise, formulée pour désigner le père Joseph, vraisemblablement à sa mort, trouvait une première signification à la couleur de la robe et aux qualités immatérielles protéiformes et éclectiques du religieux. Diplomatie publique ou secrète, silencieuse ou bruyante, négociateur pour les affaires internes ou externes, veille informationnelle dont les frontières n’ayant de limite que l’étendue du réseau européen des frères capucins, et travail administratif, le père Joseph auprès du Cardinal de Richelieu n’est pas différent d’un homme à tout faire. Auprès du Cardinal, il jouit d’une haute estime, d’une proximité remarquable et d’une confiance presque totale.

Forgé dans le moule des valeurs religieuses, l’homme de foi ne ménage aucun effort pour entretenir sa relation exceptionnelle avec le Cardinal et étendre continuellement les frontières de celle-ci, de telle sorte qu’il se substitua parfois aux circuits institutionnels normaux alors même que personne ne pouvait situer véritablement sa position/fonction. Bien évidemment, cette situation donna naissance à une représentation particulière du Père Joseph. S’il n’était pas cardinal et membre du conseil du roi à proprement parler, il n’était pas moins considéré comme une sorte d’alter ego, aux pouvoirs ou à l’influence similaire ; d’ailleurs, il est bien de relever que le Cardinal de Richelieu songea même, au moment où il se sentit au plus mal physiquement, à faire du père Joseph son successeur auprès du Roi[2]. Mais le hasard du destin fit que le Père Joseph devança Richelieu sur les routes de l’au-delà. À la mort du Père Joseph, le cardinal Richelieu tint ses paroles « je perds ma consolation et mon unique secours, mon confident et mon appui »[3], une autre façon d’exposer sa relation exceptionnelle avec le religieux.

La disparition du Père Joseph donna à l’expression éminence grise une ampleur considérable et des connotations plus complémentaires que divergentes. Qu’elle renvoie à l’acteur de l’ombre à l’influence avérée en référence à la position du Père Joseph, ou à un conseiller jouissant auprès d’un acteur politique d’une stature imposante, le fondement essentiel de l’expression d’éminence grise est résolument l’amitié, qu’on pourrait considéré comme le noyau central ou le déterminant englobant autour duquel gravite, bien évidemment, d’autres déterminants. Il n’est pas exagéré de considérer qu’elle constituerait la condition psychologique, plus précisément affective et relationnelle qui facilite ou permet la sortie de terre de l’éminence grise ; cet acteur qui fut, vraisemblablement, dénommé comme telle, pour la première fois (publiquement ?), sur une des épitaphes du père Joseph. On peut y lire en effet ce qui suit :

« Ci-gît au chœur de église Sa petite éminence grise ; Et quand au seigneur il plaira, L’éminence rouge y gira »[4]


[1] René Richard, le véritable Père Joseph…contenant l’histoire anecdote du cardinal de Richelieu, vol 1, Gaspard Butler, 1750,p.17

[2]Fagniez, G. “LE PÈRE JOSEPH ET RICHELIEU. LA DÉSIGNATION DU PÈRE JOSEPH A LA SUCCESSION POLITIQUE DE RICHELIEU. 1632-1635 (Suite Et Fin).” Revue Historique, vol. 39, no. 1, 1889, pp. 32–62. JSTOR, www.jstor.org/stable/40937911.

[3]L. Lafaist, Jean Louis Félix Danjou,

Archives curieuses de l'histoire de France depuis Louis XI jusqu'à Louis XVIII, ou Collection de pièces rares et intéressantes ... publiées d'après les textes conservés à la Bibliothèque royale, et accompagnées de notices et d'éclaircissements; ouvrage destiné à Leber, Beauvais, 1838,p.117

[4]Jean François Paul de Gondi de Retz, Mémoires du cardinal de Retz, de Guy Joli, et de la duchesse de Nemours: Mémoires de Guy Joli. Mémoires de la duchesse de Nemours, É. Ledoux, 1820,p.107

 

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La puissance destructrice négligée des « pick up » !

16 Mars 2021, 14:58pm

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

Il est d’une évidence que l’infrastructure des conflits rythme  l’intensité et la durée des  affrontements violents à travers le monde. Chaque nouveau conflit engendre, avec plus ou moins d’ampleur, des innovations de l’industrie de l’armement[1]. Jamais les formes et les moyens de faire la guerre n’ont été si divers, allant de la fameuse AK-47 aux drones armés en passant bien sûr par les armes nucléaires. Les dynamiques des conflits violents, puisqu’il s’agit de  cette forme particulière de violence,  se métamorphosent donc au rythme de l’inventivité et la créativité des hommes. Néanmoins, au milieu de cette démesure au service de la violence, certaines constantes demeurent.

Quiconque s’intéresse aux conflits à travers la planète a déjà probablement  remarqué cette image récurrente : celle des pick-up meublant les divers théâtres d’opérations. Des faubourgs de Tripoli, aux quatre coins de la Centrafrique, en passant par les montagnes pakistanaises et les plaines syriennes, les pick-up accompagnent intimement la violence des combattants.  Les groupes armés non étatiques et des régiments des armées nationales paradent et combattent sur ces véhicules légers dont la construction débuta en 1968 au Japon.

À l’apogée de la confrontation entre le groupe dit État islamique et les forces de la coalition internationale, la Russie estima à près de dix milles le nombre de pick-up formant le parc du matériel roulant de guerre de l’État islamique. L’omniprésence de cet engin roulant léger, à usage civil à la base, dans les conflits violents fait dire qu’il serait le propre des guerres insurgées, surpassant même les véhicules de guerre tel que le humvee. Le sous-secrétaire d’État à la défense américaine, Andrew Exum, avance  à ce propos qu’ : « Il est l'équivalent en version véhicules de l'AK-47. Il est omniprésent dans toutes les guerres insurgées. Et en fait, récemment, dans toutes les guerres luttant contre les insurrections de manière. Il surpasse de très loin le Humvee [véhicule militaire américain] »[2].

Historiquement, la popularité des pick-up dans les confits est née à la suite du conflit opposant le Tchad et la Lybie, au sujet du contrôle de la bande d’Aozou, en 1987. Forte d’une armée matériellement mieux équipée, comprenant aussi bien des tanks que des appareils volants de combat[3], les troupes libyennes de Mouammar Kadhafi ont été défaites par les forces armées nationales du Tchad dont la particularité était la forte mobilité effectuée sur des Toyota. Certes, la défaite des troupes libyennes n’est pas à mettre sur les seules épaules des soldats tchadiens et des Toyota. Elle est davantage le résultat de la conjonction des efforts de plusieurs acteurs, dont les puissances étrangères qui apportèrent une aide déterminante en termes de renseignement et d’appui logistique. Toutefois, sur le théâtre des opérations, l’image frappante et remarquable à la fois pour les observateurs de l’époque fut la ruée des « abeilles de Toyota » sur les colonnes de chars du guide libyen. Cette image a  d’ailleurs fini par populariser cet affrontement sous le nom de « guerre de Toyota ».  

Depuis ce précédent, les pick-up ou d’autres véhicules légers similaires sont visibles sur la quasi-totalité des conflits interétatiques, intraetatiques ou intermestiques. Plusieurs raisons non exhaustives pourraient expliquer l’attrait particulier de cette arme par destination et transformation dans les conflits à travers le monde. Comparés aux autres moyens de mobilité en période de conflit, les pick-up s'avèrent relativement accessibles pour les groupes armés non étatiques et les armées nationales. Le coût d’un pick-up armé ou non est toujours moindre par rapport au coût d’un char ou d’un humvee. En outre, le statut du pick-up, véhicule léger à usage civil, ne fait pas l’objet de restrictions de ventes ou de contrôles comme des véhicules à usage militaires. Certes, les constructeurs et les États sont de plus en plus conscients du potentiel destructeur des Pick-up et tentent de réguler son  marché, mais, ces véhicules restent plus accessibles et représentent, pour les acteurs non étatiques et étatiques, des alternatives alléchantes aux restrictions de ventes d’armes[4].

À ces avantages en termes d’accessibilités, s’ajoutent les nombreuses possibilités stratégiques offertes par ces engins roulants. Le pick-up offre, en effet, une capacité de mobilité extraordinaire des combattants sur divers terrains ; sa robustesse et sa forme en général favorise non seulement son évolution sur des terrains accidentés, mais également son utilisation comme véhicule de transport de troupes. Il est estimé qu’un pick-up pourrait transporter au moins douze combattants. Dans la guerre contre l’EI, les forces internationales eurent bien des fois du mal à faire face à la mobilité des nombreuses troupes armées roulant essentiellement sur des pick-up. Par ailleurs, la malléabilité et la robustesse de ces véhicules offrent de nombreuses possibilités d’adaptations et d’équipements. Plusieurs types d'armes peuvent être montés à l'arrière des pick-up, à l’instar des mitrailleuses lourdes et des canons antiaériens ; ce qui n’est pas toujours le cas avec des véhicules classiques de guerre aux options de transformation limitées. Ces véhicules offrent donc une capacité terrestre assez autonome « de destruction par tir direct […] et indirect »[5]. En somme, le pick-up favorise aux groupes armés la pérennisation des capacités de nuisance assez importantes. Il conviendrait donc, dans les stratégies visant à réduire  les capacités de nuisance des groupes terroristes ou autres insurgées, de  ne pas négliger la puissance destructrice des pick-up.

 

 

 

[1]La seconde guerre mondiale notamment a été le théâtre d’une série d’avancées scientifiques, notamment avec la conception de nouveaux chars  et autres véhicules spécialisés.

[3]Abbas Kayangar, HassanDjamous: Le héros immortel de la guerre Tchad-Libye, Editions Publibook, 7 sept. 2016,p.30

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La diplomatie silencieuse des symboles de Madeleine Albright

8 Mars 2021, 12:22pm

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

La diplomatie silencieuse des symboles de Madeleine Albright

(c) https://www.wellesley.edu/

Durant les négociations avec la Russie sur le traité antimissile balistique, Madeleine Albright, à  l’époque secrétaire d’État à la maison blanche, arborait sur la poitrine une broche en forme de flèche. Connaissant, la particularité de la communication diplomatique silencieuse de la secrétaire d’État américaine, le ministre russe des affaires étranges n’hésita pas à demander si la broche représentait un intercepteur de missile. La réponse teintée d’humour de la secrétaire d’État fut la suivante « Yes, we make them very small, let’s negotiate ».

Cette anecdote banale pour des processus de négociation sur l’arène internationale n’avait pas moins un sens lourd et profond. Il venait rappeler, d’une certaine façon, que la diplomatie aujourd’hui n’est pas uniquement une affaire d’actes, de paroles ou d’actions. Elle incorpore, qu’on le veuille ou non, une dimension symbolique souvent négligée, mais dont l’importance peut parfois égaler ou aller de pair avec les dimensions visibles. Madeleine Albright, première femme secrétaire d’État dans une arène diplomatique dominée par les hommes et les actes en situation, a su imposer ou faire (re)découvrir la signature de la diplomatie silencieuse ou du symbole à travers sa passion pour les bijoux, et en particulier les broches. Avec cette dernière, jamais l’attention et la prise au sérieux des symboles en diplomatie n’ont été si grandes ; jamais également un diplomate n’aura accordé autant d’importance aux symboles à travers des broches.

(c) sipa press

Le point de départ de l’aventure de Madeleine Albright dans les méandres de la diplomatie des symboles  est assez anecdotique pour ne pas être souligné. Après la guerre du golf, Madeleine Albright, ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies, avait la lourde charge de défendre la position assez critique des États-Unis sur les velléités et les ambitions de puissance du régime irakien et de son président de l’époque, Saddam Hussein. La secrétaire d’État n’y alla pas de main morte et, comme on pouvait s’y attendre, l’écho de la ligne dure de Washington se propagea jusqu’aux confins de l’Irak. La presse irakienne, dans un élan de fierté nationale, ne tarda pas à y apporter une réponse en comparant dans un poème Madeleine Albright à un serpent inégale ou sans rivaux.  Après cette saillie médiatique, la représentante permanente des Etats-Unis auprès des Nations Unies eu l’idée d’arborer une broche en forme de serpent dans l’enceinte des Nations Unies où les discussions se poursuivaient sur la question de l’Irak. Interpellé par un journaliste sur le sens a donné à cette broche, Madeleine Albright ne passa pas par quatre chemins pour affirmer que la broche en forme de serpent apposé sur sa poitrine était une référence à la comparaison faite par la presse irakienne. Elle signifiait autrement que la broche qu’elle arborait avait un objectif : passer un message.

Pour celle qui deviendra secrétaire d’État quelques années plus tard, cette première connexion entre la broche en forme de serpent et la réponse des médias irakiens fut le point de départ de la construction d’une stratégie de communication diplomatique basée pour une part non négligeable sur des symboles. Elle en fera carrément une signature particulière et singulière, puisque jusqu’ici aucun autre exemple égalable ne peut être évoqué. La diplomatie du symbole pour Madeleine Albright devint une façon assez subtile de s’adresser aux autres diplomates, de donner à l’avance des signaux sur ses positions ou celles de l’administration Clinton, bref de marquer une intention.

Pendant toute la durée de son séjour au côté du président américain, les symboles ont été les formes les plus subtiles et intrigantes à la fois de la  communication diplomatique de la secrétaire d’État. Toutes les situations, toutes les occasions, heureuses ou malheureuses, tristes ou dramatiques étaient une occasion pour la secrétaire d’État de mettre à l’épreuve sa communication diplomatie particulière. On se souvient à cet égard qu’après les massacres commis en Tchétchénie, la broche correspondante à la situation fut celle représentant les trois singes…

 

 

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Point de vue: gagnerons-nous la"guerre" contre la covid 19?

25 Février 2021, 08:38am

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

POINT DE VUE

(c) elegantwalpper

Gagnerons-nous la « guerre » contre la covid 19 ? La question, en réalité, ne se pose pas. Dans notre monde où nous sommes capables de créer en laboratoire des agents pathogènes plus dangereux que la menace actuelle, il clair que nous sommes également capables, un peu durement peut-être, de trouver la solution pour réduire la capacité de nuisance du Covid 19. L’annonce d’un vaccin par la Russie est bien là pour montrer notre capacité à répondre, dans des délais serrés et quasi inédit, à des menaces que nous sommes susceptibles, par réfutation de toute morale évidemment (certains diront de conscience), de créer artificiellement. Inévitablement, ces deux mouvements : préservation et destruction artificielles de la vie se tempèrent. La véritable interrogation ne peut donc pas être de savoir si nous remporteront la victoire contre la menace invisible qui nous impose, depuis quelques mois son rythme : un rythme de vie inédit dans toute notre histoire récente.Elle est davantage celle de savoir à quel prix remporteront nous la victoire? Aurons-nous, au final, une victoire à la Pyrrhus : victoire fragile, nous exposant corps et âme, corps et esprit, corps et culture, corps et nature, à la merci d’un autre agresseur plus faible et de moindre importance ; victoire fragile exposant nos puissances publiques a des exigences et des face à face voraces, passionnelles, légitimes dans le fond, mais dénués désormais de tout esprit de concessions ? Ou alors, pouvons-nous espérer une victoire nous permettant de rebâtir, sans grandes difficultés, tout ce que nous avons eu à perdre à cause du covid 19 et tout ce que nous avons eu à prévoir, avant la covid 19 ?

Bien que nous aimerions, cela va de soi,  plébisciter la deuxième victoire, conforme aux attentes et espérances de milliers d’individus à travers la planète, les batteries de réponses provisoires dont l’incomplétude les rendent difficilement digérables pour nos vies et nos sociétés, nous dirigent à vitesse soutenue, pour certains, (les moins chanceux) à pas saccadés pour d’autres, (les plus chanceux) vers une victoire à la Pyrrhus, hélas. Nous gagnerons tous la bataille et même la guerre contre la covid 19, cela n’est qu’une évidence : notre amour pour la vie ou notre passion pour les biens matériels sont là pour construire et paver cette route de la victoire. Mais nous-mêmes et nos sociétés pourrions en sortir si faibles qu’il serait difficile pour certains de se tenir sur deux pieds. Il faudra certainement, et ce sera peut être le virage pour un nouveau recommencement, réapprendre à marcher à quatre pattes, apprendre à le faire sur le dos ou sur le ventre. La faute au virus bien sûr, mais pas que, loin s’en faut. Nous porterons, comme un tatouage raté, une part de responsabilité, d’abord parce que nous semblons avoir oublié l’homme dans sa complétude dans cette bataille. Bien sûr, le confinement, l’Etat d’urgence, mesures accessibles dans l’immédiat, étaient destinées et sont toujours par endroit destinées à sauver l’homme, la vie ou plutôt le plus de vie possible. A juste titre, elles furent saluer : car il fallait et il faut (toujours ?) sauver l’homme, le corps en premier, en fait. Mais que vaut réellement une vie, un homme corps sans esprit ? Sans possibilité de se reconnaître et connaitre ?Sans l’ennui, parfois plaisant, de la quiétude ? Certains ne le verront pas, et c’est à tout à leur honneur, et c’est mieux ainsi ; d’autres le verront, par exagération peut être ou par expérimentation aussi : les premières mesures contre la Covid 19, ici et là, ont absurdement négligé la dimension invisible de l’homme : elles ont divisé artificiellement le corps et l’esprit, oubliant qu’ils forment un tout ; un tandem dont l’équilibre doit, dans l’idéal, être toujours parfait. Non pas que c’est toujours le cas, mais le déséquilibre ne doit pas être important. On a enfermé les corps pendant longtemps et continuons encore à le faire, pour les protéger, oubliant que l’esprit ne vit qu’à l’oxygène de la liberté ; oubliant même que la capacité du corps à supporter l’enfermement n’est pas illimité. Tout ceci pour dire que les dégâts psychologiques des mesures réglementaires pourraient être terrifiants, une mauvaise surprise, quand elles se manifesteront, dans le long terme pour le coup, d’une manière ou d’une autre. C’est déjà le cas dans certains contextes. On  ne s’en rendra toujours pas compte, on ne pourra même plus faire le lien avec nos barrières une fois la menace passée, ce qu’on pourra voir, on ne le souhaite pas bien sûr par amour bienveillant, ce seront quelques pertes de vie inexplicables par ici, quelques fous et folles de plus dans les rues par là, quelques montée d’intolérance ici et là, de milliers d’hommes pauvres plus pauvres que jamais,et  les rares psychologues et psychiatres eux aussi devenus instables (dans les sociétés ayant cette culture),  débordées de patients : double instabilité pour eux donc. Une partie de la force nécessaire à la reconstruction, parce qu’il faudra le faire, sera inutile et faible : un peu inutile et fondamentalement faible, psychologiquement et donc physiquement ; faiblesse ultime et totale donc. Enfants, adolescents et jeunes adultes, victimes idéales, plus faibles et paradoxalement espoir sur laquelle repose une reprise vigoureuse, un recommencement, n’en sauront pas épargnés. Les pauvres petits, ils reprendront les classes, certainement en ligne, (heureusement !) sans avoir eu droit à de véritable vacances, sans avoir eu droit à leur habituellement défoulements qui leur permettent de réellement apprécier et d’aimer, d’une manière différente, chaque rentrée. Certains reprendront les classes sans connaitre de nouveaux camarades, sans pouvoir les approcher, les parlers. Ils parleront, si on leur donnent bien sûr l’occasion, à des machines. Et même lorsqu’ils pourront reprendre les classes, Ils le feront certainement l’esprit ailleurs, tout comme de milliers d’adultes. Ils ne seront pas, à proprement parler, différents de nos braves pilotes, qui doivent continuer à voler, à déplacer des hommes corps à la recherche de cet équilibre entre corps et esprit, mais avec quel esprit ? Un esprit ailleurs….partagé entre, d’une part, l’épée  de Damoclès qui pèse sur leur tète, et l’épée qui virus qui rode autour de leurs familles.Tanger le

Tanger le 22 novembre 2020

 

 

 

 

 

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That expensive void!

3 Décembre 2019, 12:23pm

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

 

In an article published by Le monde on monday 13 November, it was possible to read the following information: people in distress because of a resurgence of terrorist attacks in Cameroon’s far north region tosses a bottle into the sea and warn: "If nothing is done, empty houses will serve as shelters for Boko Haram. ».

This umpteenth cry of despair is undoubtedly one of the striking illustrations of the continuous presence of the terrorist threat on the African continent and more particularly in the Sahel region. Alarmist predictions of populations living as closely as possible with this singular threat, these words suggest a long-term presence of terrorist groups, under the dual logic of the occupation of territories almost abandoned by the public authorities, and the projection of terrorist barbarism from the shelters provided by these same territories.

The evolution of Boko Haram’s terrorist attacks shows that the military pressure exerted on this terrorist group has led it, at the tactical level, to enter a phase of total terrorism, consisting in superimposing acts of mass banditry on acts of traditional terrorism and attacking with the same strength and methods, both civilian population and armed forces, with at least the aim of undermining the morale of the latter and making the former disappear both psychologically and physically in the areas where they operate.

This evolution, which is not overwhelming in itself, suggests a desire to perpetuate and accentuate the conditions that have made possible, if not the emergence of this terrorist group, then at least the developments that it has been able to experience so far.

It is customary to say that nature abhors emptiness. In the same vein, it is also possible to say that terrorists have a greater ability to grow and reproduce in empty spaces. In a former address, the representative of the European Union for the Sahel, Angel Losada, declares with accuracy that "In the Sahel, the void of the State is the oxygen of terrorism".

In fact, If terrorism finds a way to develop, regenerate and renew warfare patterns in some parts of the Sahel's territorial strip, it is largely because it can greatly benefit from the emptiness that characterizes these areas shared by several States. Polymorphic, the vacuum in question is not only synonymous with the absence or characterized insufficiency of public power adorned with the gladiator's armour, but it also synonymous of lack of basic public goods, in other words, conditions, sometimes minimal, that can allow a dignified and secure existence in areas where thousands of people live or more precisely survive according to their proper logic, which are not always in phase with the strict frameworks intended to regulate their social relations. However, these almost abandoned territories of the Sahel, let us say as a reminder shot, are not without masters. They are legally part of the full meaning of the sovereignty of several States. Therefore, they are supposed, at least in theory, to benefit from a framework and an organization that materializes the effective sovereignty of States. In practice, these territories are left to their own and therefore to the inventiveness, the survival and adaptive capacity of the people who live there. At worst, nothing happens there, time stops and sometimes resumes during election campaigns. Politicians have to hunt electoral game, one may say! At best, these areas like cameroon’s far north region are considered as open-air prisons where civil servants and other public officials are conveyed to be punished. The very rare presence of the State in these areas is thus always experienced by those who embody it as a nightmare, a crossing of the desert. Like the prophet Moise, public officials operating in these areas are called upon to show resilience in order to hope for a way out , under the eyes of resigned ordinary citizens waiting for their messiah to.

The nightmare of public officials and ordinary citizens is all the more profound because, in addition to the weak presence of the State wearing the gladiator's armour in these regions, there is a weak presence of the State wearing a white coat and chalk. Schools and hospitals, to name only these basic infrastructures are sorely lacking in these areas and where they exist, they look like middle ages infrastructures. Therefore It is not surprising that these regions such as The northern part of Nigeria are generally fortified enclaves of under-schooling, illiteracy, mortality rates reaching levels similar to Soviet political scores, all this under the reign of extreme poverty

Citizens of these peripheral areas, who really exist on maps, are invited to find landmarks, especially educational ones, to fill not only the void left by the State but also the inevitable void of their future. In such environments, where there is a diversity of violence, it is not surprising that all alternatives, even those of extremist ideologies, become attractive, if they are presented as saving.

Terrorist groups operating in the sahel region have clearly understood the importance of such a vacuum for their prosperity. The areas where they operate, succeed in establishing themselves and considering their development in the Sahel band correspond most of the time to these empty spaces where millions are now buried each day to win a war that could have been prevented.

(originally published in french- see the previous article "Ce vide qui coute cher") Tangier, December 3, 2019.

 

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Ce vide qui coûte cher !

25 Novembre 2019, 10:16am

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

Jose Azel / Getty images

Dans un article du journal Lemonde, daté du 13 novembre 2019[1], il était possible de relever l’information suivante : les populations en désarroi face à la recrudescence des attaques terroristes dans l’extrême nord Cameroun jettent une bouteille à la mer où ils préviennent : « Si rien n’est fait, les maisons vides serviront d’abris à Boko Haram. ». Ce énième cri de détresse compte assurément parmi les illustrations frappantes de la continuelle présence de la menace terroriste sur le continent Africain et plus particulièrement dans la bande sahélienne. Prédictions de populations qui vivent au plus près cette menace singulière, ces fragments de discours suggèrent une inscription dans la longue durée des groupes terroristes, sous la double logique de l’occupation des territoires quasi abandonnés par la puissance publique, et de la projection de la barbarie terroriste à partir des abris fournis par ces mêmes territoires.

L’évolution des attaques terroristes du groupe Boko Haram montrent en effet que la pression militaire exercée sur ce  groupe terroriste l’a fait entré, sur le plan tactique, dans une phase de terrorisme total, consistant à superposer aux actes de terrorisme classique des actes de grand banditisme et à  s’attaquer avec la même force et les mêmes méthodes indifféremment aux populations civiles et aux forces armés, dans le but, au moins, de saper le moral des derniers, et de faire disparaitre psychologique et physiquement des zones où ils opèrent, les premiers.

Cette évolution pas renversante en soi, suggère, à s’y méprendre, un désir de pérenniser et d’accentuer les conditions qui ont rendu possible, si ce n’est l’émergence de ce groupe terroriste, au moins, les développements qu’il a pu connaitre jusqu’ici.

La nature a horreur du vide, a-t-on coutume de dire. Les terroristes ont une facilité à émerger et à croire dans les espaces vides, pourrait-on également avancée, en s’alignant sur la pensée de la représentante de l’union européenne pour le sahel, Angel Losada, qui a pu dire, avec justesse, pour mettre en avant un des facteurs déterminant de la perpétuation des groupes terroristes, qu’« Au Sahel, le vide de l'État, c'est l'oxygène du terrorisme »[2],

Si en effet, sur certaines parties de la bande territoriale constituant ce qu’il convient d’appeler le Sahel, le terrorisme trouve un terreau fertile, le moyen de vivre, de se régénérer et renouveler des schémas guerriers, c’est parce qu’il peut profiter grandement du vide qui caractérise cet espace partagé par plusieurs Etats.Polymorphe, le vide dont il est question n’est pas seulement synonyme d’absence ou d’insuffisance caractérisée de la puissance publique parée de l’armure du gladiateur, mais également de biens publics de base ; en clair, de conditions, parfois minimales, pouvant favoriser une existence digne et sécurisée dans des zones où pourtant de milliers de personnes vivent ou plus précisément survivent selon des logiques propres, qui ne sont pas toujours en phase avec les cadres stricts censés réguler leurs relations et interactions sociales. Pourtant, ces territoires quasi abandonnés du sahel, disons-le comme piqûre de rappel, ne sont pas sans maitre. Juridiquement, ils sont une partie indispensable du sens plein de la souveraineté de plusieurs Etats. Ils sont donc censés, en théorie, bénéficier d’un encadrement et d’une organisation matérialisant la souveraineté effective des Etats sur ces régions. En pratique, ces territoires sont laissés à eux-mêmes et donc à l’inventivité, à la capacité de survie et d’adaptation des personnes qui y vivent. Au pire, rien ne s’y passe, le temps s’y arrête et reprend parfois une vitesse de croisière (de tortue) au moment des campagnes électorales. Il faut bien chasser le gibier électoral, pourrait dire certains ! Aux mieux, pour l’Etat bien sûr, ils sont considérés comme des prisons à ciel ouvert où sont convoyés fonctionnaires et autres agents publics à sanctionner. La rare présence de l’Etat institutionnel dans ces zones est ainsi toujours vécue par ceux qui l’incarnent comme un cauchemar, une traversée du désert. Tel le prophète Moïse, les agents publics officiant dans ces zones sont contraints de faire preuve d’une grande résilience pour espérer s’en sortir, sous le regard des citoyens ordinaires quant à eux résignés, attendant un hypothétique messie.

Le cauchemar des agents publics et des citoyens ordinaires est d’autant plus profond que, à la faible présence de l’Etat paré de l’armure du gladiateur dans ces régions se superposent une faible présence de l’Etat paré d’une blouse blanche et d’instruments de mesure. Les écoles et hôpitaux, pour ne citer que ces infrastructures de base, manquent ainsi cruellement dans ces zones et lorsqu’ils existent, l’état physique et fonctionnel de ces établissements laisse à désirer. Rien d’étonnant donc que ces régions tels le nord du Nigeria, le nord du Mali ou du Niger sont très généralement des enclaves fortifiées de la sous-scolarisation, de l’analphabétisme, des taux de mortalité frôlant les seuils des scores politiques soviétiques, le tout sous fond de pauvreté quasi généralisée.  

Les citoyens de ces zones périphériques qui ne comptent réellement que sur des cartes sont conviés à trouver des repères, notamment éducatifs pour combler,non seulement le vide laissé par l’Etat, mais également le vide du futur qui se dessine devant eux. Dans de tels environnements, où se déploie une diversité de violence, on ne s’étonne pas que toutes alternatives, même celles des idéologies extrémistes, deviennent aguichantes, pour peu qu’elles soient présentées comme salvatrices.

Les groupes terroristes qui sévissent dans cette région ont bien compris l’importance d’un tel vide et plus encore la nécessité de son entretien  pour leur prospérité. Les zones où ils opèrent,  s’implantent avec peu ou prou de réussite et envisagent leur développement dans la bande sahélienne correspondent la plupart du temps à ces espaces vides où des millions sont désormais dépensés, chaque jour, pour gagner une guerre qui aurait pu être prévenue, ou, du moins, aisément contenue.

  Tanger le 25 novembre 2019.

 

[1] Cf https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/11/13/dans-le-nord-du-cameroun-les-attaques-quasi-quotidiennes-de-boko-haram_6019039_3212.html

[2] Cf https://www.lepoint.fr/afrique/angel-losada-au-sahel-le-vide-de-l-etat-c-est-l-oxygene-du-terrorisme-28-02-2019-2297106_3826.php

 

 

 

 

 

 

 

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LA GUERRE DU CIEL

15 Octobre 2019, 14:18pm

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

Les trajectoires d’évolution de certains groupes terroristes ont  permis de constater une capacité d'adaptation et de transfert des modes opératoires assez surprenants et pas renversants à la fois. L’appropriation par le groupe Boko haram des  codes visuels[1], plus généralement esthétiques du terrorisme international  fut ainsi une curiosité puisque que fondamentalement, ce groupe terroriste fut, à l’origine, caractérisé par son ancrage local. Pour autant, ce mimétisme dont  certains  traits saillants  ont été identifiés par la recherche au niveau de la   reprise des scénarios de propagande visuelle  et des mises en scène des actes terroristes employés par le terrorisme international, ne fut pas une grande surprise dans une ère où les moyens de communications dématérialisés favorisent des échanges de toutes sortes et décloisonnent l’inspiration au delà de la recherche du bien et des cercles restreints. La capacité de ce même groupe terroriste à insérer également, aujourd’hui, dans son arsenal des véhicules aériens sans pilote humain, communément appelés drones, s'inscrit sans commune mesure dans cette dynamique d’importation et d’appropriation des procédés de diffusion de la terreur. De drones commerciaux à des engins de plus en plus sophistiqués, le groupe Boko Haram semble ainsi imposer un nouveau visage du terrorisme en Afrique subsaharienne. Un visage qui suggère en filigrane la perte de l’hégémonie technologique du ciel par la puissance publique. Qu’en est-il réellement ?

 

Á l'origine, l'utilisation à des fins militaires des drones était l'apanage de la puissance publique. Puissance en perpétuelle quête de  préservation de sa position sur l’échiquier international, les Etats unis furent quelque part les pionniers de l’utilisation de cette technologie sur les théâtres d’opérations. Dès la première guerre mondiale, en passant par la seconde, et plus tard la guerre du golfe, les véhicules aériens sans pilote connaissent, dans cette partie du monde, des développements  soutenus. Cet intérêt pour les drones permettront le déploiement, en 1995, des drones de moyenne altitude longue endurance (MALE),  en l’occurrence les Predators. Bien évidemment, cette prouesse technologique aérienne catalyse l’attention et inaugure véritablement l’ère de la multiplication de la puissance aérienne  en dehors des cadres anciens. Utilisée au départ pour la simple reconnaissance et le ciblage pour  l'appui à d'autres formes d'engagement plus directes et donc comme une ressource importante de la guerre de l’information, les possibilités opératoires offensives développées et offertes par la modernisation de cette arme du ciel, ont fait de celle-ci une composante vitale et sans cesse croissante de la puissance aérienne des Etats Unis. Les terrains afghans, Irakiens et Pakistanais, à l’ère du président Obama, par exemple, ont offert l’occasion de relever les investissements conséquents des Etats unis dans cette conception particulière de faire la guerre sans homme à partir du ciel.

 Le recours considérable a cette innovation technologique sur les théâtres d’opérations  a suscité un grand nombre d'études et de débats divers s’articulant autour des implications éthiques sur son utilisation et son efficacité  par rapport aux objectifs stratégiques et politiques associés à la guerre contre le terrorisme. Au delà des polémiques et des joutes academico-politiques qu’elle a engendrées, sa  diffusion sur les terrains conflictuels à travers le monde confirme que c’est d’abord la puissance publique qui a toujours vu derrière son utilisation  un intérêt stratégique.

La transformation du continent africain en un champ de bataille de plus dans la guerre mondiale contre le terrorisme offre, en effet, l’opportunité de relever  que ce sont les Etats qui ont marqué un intérêt  particulier pour cette façon de marquer sa présence militaire à partir du ciel. Les caractéristiques diffuses de la menace terroriste sur le continent et l’incapacité de la puissance publique d’avoir toujours une pleine maîtrise de son territoire et de la menace terroriste, entre autres, ont poussé à envisager les drones comme des moyens de substitutions aux carences sécuritaires des Etats et aux situations conflictuelles où les frontières entre civils et hommes armés sont très peu tenues, parfois quasi inexistantes. Historiquement, c’est l’Etat d’Afrique du sud, sur le continent, qui est considéré comme le pionnier dans l’utilisation des aéronefs sans pilote à des fins militaires. Les références pertinentes font remonter aux années 1980, l’utilisation par cet Etat de « drones » sur des théâtres d’opérations. Néanmoins, c’est le Nigeria,  de nos jours, qui peut servir de baromètre, d’instrument de mesure de l’importance prise par les drones dans la stratégie de lutte contre le terrorisme de manière spécifique et plus généralement comme outil militaire.

D’une première expérience d’exportation des drones israéliens dans les années 2000, le Nigeria détient, aujourd’hui, dans son arsenal militaire, des drones  tactiques de surveillance de fabrication locale qu’il emploie intensément à des fins de renseignement  dans son interminable guerre contre le groupe terroriste Boko Haram. Á l’instar de l’Etat nigérian, les Etats africains qui ont recours à cette technologie qui, quelque part, uniformise les stratégies aériennes publiques de lutte contre le terrorisme, tentent de s’adapter, de résorber des lacunes et les insuffisances stratégiques dévoilées par une menace en constance mutations et évolutions qu’ils ont de  la peine à  contenir ou endiguer malgré l’avantage des forces et des moyens dont ils disposent. En cela, les drones publics, appelons les ainsi par opposition aux drones privés au service de la violence terroriste, s’inscrivent dans la logique continue de recherche d’adaptation des  moyens aux menaces.

L’ambition est naturellement compréhensible et justifiée. Mais il y a lieu de remarquer qu’il n’y a pas que la puissance publique qui s’adapte par le moyen des drones. Si à l’évidence, les drones sont des multiplicateurs de puissance des Etats face à la menace terroriste, les développements récents des modes opératoires des groupes terroristes montrent qu’ils ne sont plus pour autant  l’apanage exclusif de la puissance publique. L’appropriation par les groupes terroristes tels que Boko Haram de cette technologie marque certainement la fin de l’hégémonie «droniennne » du ciel de la puissance publique. La faiblesse des barrières à l’entrée de cette technologique doublée de la facilité de son mode d’emploi ont quelque part favorisé l’élargissement des possibilités stratégiques des groupes terroristes et d’une certaine manière la redéfinition des rapports de force. Sans pour autant mettre au même pied d’égalité les forces et les moyens, les drones au service de la violence privée permettent aux groupes terroristes de jouir de certains avantages conférés par cette technologie. Ils permettent, comme c’est le cas dans le contexte nigérian, au groupe Boko Haram de mener une guerre symétrique  d’information avec l’armée regulière, puisqu’il est reconnu, notamment par le discours médiatique et expert que les drones utilisés par ce groupe terroriste sont autant puissants sinon plus sophistiqués que ceux utilisés par l’armée régulière.  Par ailleurs, l’entrée par effraction de ce groupe terroriste dans le panel des organisations pouvant mener une « guerre du ciel » ou à partir du ciel  permet  à  ce dernier de compenser sa perte d’une assise territoriale identifiable. Le contrôle de fait de la terre par les airs rendu possible par les drones entretient ainsi, pour une part non négligeable, aussi bien la capacité de nuisance de ce groupe terroriste que sa capacité à annihiler la force et les modes opératoires de la puissance publique. 

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore,  les drones privés au service de la violence, bouscule considérablement la façon de semer la terreur et enjoint la puissance publique à intégrer dans ses stratégies de lutte contre le terrorisme ce nouveau paramètre. L’enjeu bien évidemment réside dans la reprise du contrôle du ciel par la puissance publique et l’anticipation d’une évolution préoccupante des modes opératoires des groupes terroristes sur le continent.


[1] Cohen Corentin, Ramel Frédéric, « Chapitre 4 - Prendre les images au sérieux. Comment les analyser ? », dans : Guillaume Devin éd., Méthodes de recherche en relations internationales. Paris, Presses de Sciences Po, « Relations internationales », 2016,

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« Discours » et « récits » différenciateurs, catalyseurs des conflits politiques violents en Afrique.

31 Octobre 2018, 09:10am

Publié par Dr. Sali Bouba Oumarou

Discours et récits différenciateurs font partie du processus conduisant au déclenchement et à l’entretien des conflits politiques violents. Bien souvent, pour entrer en conflit ou créer les conditions le rendant possible ; plus souvent, pour le justifier et le soutenir, les groupes ou acteurs en opposition et ceux gravitant, par sympathie, solidarité ou opportunité, autour d’eux, qu’ils soient peu ou prou structurés, accompagnent la matérialisation de leur opposition, de leurs divergences d’intérêt, par des échanges de mots belliqueux dont l’avenir est le plus souvent belligène. Que ce soit au Rwanda, en Côte d’Ivoire, au Kenya, par le passé, ou en République centrafricaine, aujourd’hui, les discours et les récits différenciateurs accompagnent toujours intimement les acteurs proches ou lointains des conflits. Ils sont, en réalité, une façon, soit de préparer idéologiquement le conflit, de le dire, de le faire dire, soit de l’attribuer un sens contextuel ou situationnel. De ce point de vue, on peut dire que le conflit politique violent en Afrique s’il ne résume pas aux discours et récits, n’est pas moins une affaire de discours et de récits différenciateurs que les divers protagonistes des conflits construisent, entretiennent, font évoluer et chercher à diffuser le plus largement possible. Ils sont donc, quelque part, des éléments catalyseurs des conflits politiques violents dans la mesure où les différences polémiques qu’ils établissent construisent une représentation binaire du monde proposant à la fois l’ordre du jour des discours et la formation de l’opinion publique. Il n’est que d’évoquer, plus en détail, le cas Kenya de 2007 pour donner raison à cette observation. Bien que les incidents post électoraux kenyan de 2007 ayant engendrés la mort de plus de 1200 personnes étaient issus de la colère provoquée par les résultats des élections, on s’accorde à reconnaitre que l’irruption de la violence politique post-électorale n’était rien d’autre que la continuité de la violence discursive produite et amplifiée à souhait tant par les médias que par les hommes politiques et les citoyens ordinaires, avant et pendant la période électorale. L’incitation à la violence ou les prémisses des affrontements civiles ont d’abord été discursives comme ce fut le cas à l’époque de l’Allemagne Nazi. Les discours et récits différenciateurs ont favorisé d’une certaine façon un endoctrinement des foules, « un viol » des consciences, dont l’aboutissement fut la mise en application, elle-même différenciée, du bousculement et sabordement des équilibres fragiles des sociétés unies en toile d’araignée. Autrement dit, le conflit discursif a précédé la matérialisation factuelle de la violence politique armée ; ses vecteurs ont libéré la violence symbolique des mots différenciateurs, stimulus déterminant pour le passage à la violence physique. Ce scénario n’est pas, évidemment, un phénomène propre au Kenya. En République Centrafricaine, les représentations des divers protagonistes du conflit, véhiculées par les discours et récits, jouent un rôle important dans l’entretien du conflit. Ici, les mêmes logiques observables dans le cas kenyan sont reproduites : ils se résument pour l’essentiel à la négation pure et simple de l’autre, l’invalidation de ses discours et prétentions par des contre discours et des récits disqualifiant, stigmatisant, meurtriers, etc.

À la similarité des objectifs des discours et récits différenciateurs conduisant et entretenant les conflits politiques violents, on observe également, le plus souvent, une similarité des stratégies communicationnelles déployées. La stratégie d’attaque frontale est la plus sollicitée dans l’avancée des premières lignes des porteurs des mots belligènes. Il s’agit le plus souvent à travers un discours total, c’est-à-dire mêlant volonté et intelligence[1], ou un discours émotionnel renforçant la charge conflictuelle, de designer, identifier l’autre et l’attribuer la position sociale la plus négative ou dégradante possible. Le recours aussi bien aux langues maternelles qu’aux mass médias pour la production et la diffusion de ces discours favorisent ici non seulement l’amplification desdits discours dans les consciences vers lesquelles elles s’orientent pour susciter l’adhésion, mais elles ajoutent également à la stratégie frontale, dans le pire des cas, une sorte d’engagement irréversible à l’anéantissement de l’autre, ou au moins son affaiblissement de telle sorte qu’il lui soit impossible d’opposer une quelconque riposte. Ce caractère direct de la confrontation n’exclut pas pour autant l’utilisation de stratégies détournées ou implicites qui révèlent la profondeur du projet destructeur. Si on peut émettre l’hypothèse que c’est dans le cadre privé que cette deuxième option stratégique prend tout son sens et participe même, directement ou indirectement, à la structuration de la stratégie frontale assumée, le recours aux discours donnant une orientation particulière aux appareils institutionnels constitue, sans exclusive, une autre face hideuse de cette réalité. Il s’agit concrètement de personnaliser une position dominante, censée être neutre et impersonnelle. Bien évidemment, cela renvoie à l’idée de l’implication de l’élite dans sa pluralité et diversité dans la marche, silencieuse et bruyante à la fois, sur ces bitumes verbaux du conflit. Cela dit, nul ne serait étonné de constater les navettes discursives régulières qui unissent les stratégies frontales et les stratégies détournées. Entre centralisation, déconcentration et décentralisation, les discours et récits différenciateurs se déploient pour catalyser le conflit politique violent ou pour le pérenniser. Cela montre bien que dans les contextes fragiles, la production et la diffusion à outrance des discours et récits différenciateurs sont, sans contredit, les témoins lumineux de la possibilité de dissolution de la paix négative, laquelle n’est perennisable et consolidable que la prise de conscience de la part de responsabilités de chacun. En somme, comme le remarque fort opportunément Julien Freund dans l’essence du politique « […] Tout conflit entre des groupements peut toujours évoluer, ne serait-ce que par la volonté d’un seul antagoniste, vers l’épreuve de force avec recours à la violence […] »

Tanger, le 31 octobre 2018.


[1] Nous reprenons ici les deux éléments, volonté et intelligence, qui permettent à Landsberg de considerer l’engagement comme un acte total. Bien évidemment, il ne s’agit en aucun cas de la pensée de Landsberg qui, elle fait le pari inverse.

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